À la tribune

Proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises

Il y a urgence à ce que notre pays parvienne enfin à suivre le cap agricole qu’il a déterminé

Lundi 30 octobre 2023 , les sénatrices et sénateurs débattaient au sujet d’une proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

C’est Eric Bocquet qui a prononcé l’intervention générale sur ce texte, au nom du groupe CRCE-K, pour exprimer la vive inquiétude que provoque ce texte sur une éventuelle marchandisation des terres agricoles.

Lire le texte de l’intervention générale d’Eric Bocquet

« Préserver le caractère familial de l’agriculture » et « faciliter l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables » sont les objectifs assignés à l’Etat par l’article 1er du code rural.

Or, aujourd’hui, une ferme sur cinq s’étend sur 136 hectares, deux tiers des terres agricoles lorsqu’elles changent de mains le sont en faveur de l’agrandissement des superficies. En d’autres termes, les exploitations sont devenues tellement grandes que seules les firmes, dans beaucoup de cas, peuvent les reprendre. Et ce phénomène, insuffisamment documenté, empêche la transmission en faveur d’une agriculture de proximité, à taille humaine, permettant aussi de changer les pratiques agricoles.

Dans le même temps, les départs à la retraite devraient concerner presque un travailleur agricole sur 2 dans les 10 ans à venir, le besoin en termes de renouvellement générationnel est énorme. Il y a donc urgence à favoriser réellement l’installation des aspirants à l’installation, dont 60%, cela a déjà été dit, ne sont pas issus du milieu agricole. Il y a urgence à ce que notre pays parvienne enfin à suivre le cap agricole qu’il a lui-même déterminé.

Cela est impératif si nous voulons la cohabitation de plusieurs modèles agricoles sur notre territoire et la survie d’un certain modèle familial.
Or, face au renchérissement du prix du foncier et sa raréfaction, les textes que nous examinons depuis 2 ans ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pire, ils étendent encore la logique de marché à ce bien commun qu’est la ressource foncière.

Le texte dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle, puisqu’il propose un nouveau véhicule d’investissement défiscalisé, en direction des épargnants les plus aisés, le groupe foncier d’investissement GFAI. Tout cela sans aucune étude d’impact.

Or, dans le dispositif proposé, les terres concernées par cet instrument de portage foncier pourront être louées à tout agriculteur, grand ou petit.

Dès lors, comment être sûr qu’il ne bénéficiera pas essentiellement aux grandes structures qui pourront plus facilement accepter des loyers supérieurs à ceux des baux traditionnels, privant de terres les candidats à l’installation.

Comment évaluer le risque de renchérissement des baux ruraux, risque qui n’est pas inexistant comme le soulignait justement notre rapporteur ?
En effet, le groupement foncier agricole d’investissement est un produit financier comportant des risques et dont le détenteur recherchera un niveau de rentabilité plus important. Or, comme le souligne très justement le rapport de la Commission des finances, je cite, « la maîtrise du coût du fermage, et donc du foncier, s’oppose à l’attractivité du foncier agricole pour les investisseurs, à la recherche d’un certain niveau de rendement. »

De même, ce produit, dont on nous dit qu’il sera éthique, n’est pas ciblé. Nous ne savons pas à qui profitera ce nouveau portage foncier. A l’installation ? à l’agrandissement ? au verdissement de notre agriculture ? Rien dans le texte ne le précise.
S’il est vrai que chaque génération d’agriculteurs s’installe différemment que la précédente, prenons garde à ce que la terre ne devienne pas un nouveau terrain pour les fonds d’investissement, une marchandise.

Plus que jamais, nous devons répondre de manière ambitieuse à la banalisation d’une vision capitalistique de l’agriculture, qui draine son lot de méga-exploitations, détenues sous des formes sociétaires dans lesquelles la plupart des travailleurs agricoles seront salariés et dont les conditions de travail seront une variable d’ajustement pour des détenteurs de capital foncier toujours plus éloignés du monde agricole.

Appelons à une réforme en profondeur de la régulation foncière et des outils d’orientation du foncier que sont les SAFER et le contrôle des structures, non par touches successives mais dans le cadre d’un débat de fond autour de la prochaine loi d’orientation agricole.

C’est pourquoi nous pensons, comme de nombreuses organisations agricoles, qu’adressé aux plus gros patrimoines cherchant à défiscaliser, le GFAI tourne le dos à la logique « coopérative » des GFA à la faveur d’une logique d’investissement qui risque de favoriser encore plus la dynamique de concentration des terres en cours dans les mains de grands groupes financiers et au détriment de l’installation de jeunes agriculteurs.


La réponse du Ministre :

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