Auditions en commissions

Commission d’enquête sur les concessions autoroutières : les auditions

Désigné membre de la commission d’enquête sur les concessions autoroutières, Eric Bocquet participe aux auditions et interroge régulièrement les personnes concernées.

Ses interventions sont à retrouver dans cet article.

Mercredi 11 mars 2020

C’est d’abord M. Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d’État qui était auditionné par la commission d’enquête.

Eric Bocquet a souhaité l’interroger sur son rôle de conseil pour le Gouvernement, et sur sa vision des concessions autoroutières à l’horizon 2031.

Merci monsieur le Président.

Monsieur le Président Martin, je voudrais revenir au début de vos propos, quand vous disiez ne pas avoir le droit de divulguer les avis sur lesquels le Conseil d’Etat était sollicité par le gouvernement, vous parliez de 2015 notamment. Alors, je suis un peu surpris d’entendre ça, est-ce que c’est vrai aussi devant une commission d’enquête ou pas ? est-ce que le rapporteur et le président auraient, eux, par leurs fonctions respectives, le droit d’avoir accès à ces documents, à ces avis qui ont été sollicités à l’époque en 2015. Je suis un peu surpris d’entendre ce propos, je voudrais vérifier ceci.

Ensuite, par rapport à 2031, qui devient donc une échéance que vous avez citée, vous évoquez l’idée d’une grande opportunité pour l’Etat, un bon outil les concessions. C’est vous qui parlez, ou c’est le Conseil d’Etat qui s’exprime là ? Parce que c’est plus qu’un avis technique à mon avis, c’est une opinion. Est-ce que dans vos opinions, il y a des alternatives proposées au Gouvernement, car vous êtes le conseil du Gouvernement – le Conseil d’Etat sert à conseiller le Gouvernement dans la gestion des affaires publiques si j’ai bien compris. Voilà, quel est exactement votre rôle sur ce sujet particulier ? Est-ce qu’en 2031, vous conseillerez ou conseilleriez au Gouvernement de proroger les concessions privées de gestion des autoroutes françaises ?
Vous n’excluez pas le retour à une gestion publique puisque vous l’évoquez, une gestion directe par l’Etat ce qui est une option possible. Alors vous dites que l’Etat ne trouverait pas l’argent pour le financer peut-être, mais bon… Je sais que cette année l’Etat va emprunter 205 milliards d’euros sur les marchés financiers, voire plus me dit mon voisin de commission des finances, 230.
Voilà, donc c’est une option sérieuse à mon avis, qu’il faut examiner aussi. Je voulais un peu vous interroger là-dessus.

Et puis, sur la fin des concessions là, on apprend il y a quelques semaines au Royaume-Uni, alors je ne sais pas si vous connaissez particulièrement la situation au Royaume-Uni mais le gouvernement britannique de Boris Johnson - qui n’est pas un fou furieux de l’étatisation absolue – a décidé de renationaliser les lignes ferroviaires du nord de l’Angleterre où ça ne se passe pas très bien, reprise en main directe par l’Etat de ces concessions ferroviaires, qui avaient été concédées à la grande époque Thatcher à 16 sociétés privées. Quel est votre avis sur cette situation ?
Merci.


La réponse de Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d’État, et les compléments d’information apportés par le Rapporteur de la Commission, Vincent Delahaye.


Eric Bocquet a ensuite souhaité l’interroger une seconde fois, au sujet cette fois d’une étude demandée par Monsieur Martin, et qui, selon Eric Bocquet, existe déjà, mais ne semble pas avoir été prise en compte.

Merci de me donner à nouveau la parole.
En réaction à ce que vous venez de dire monsieur le Président Martin, sur une analyse pertinente, une étude indépendante pour définir l’équilibre économique de ces concessions autoroutières, j’ai dans les mains ce document, qui est un avis de l’Autorité de la Concurrence du 17 septembre 2014, donc pas trop ancien mais avec suffisamment de recul pour faire un bilan justement, depuis la privatisation de ces autoroutes.
Et je vais citer quelques extraits extrêmement évocateurs :
« un secteur caractérisé par une rentabilité très élevée, malgré une augmentation limitée du trafic autoroutier.
L’activité des concessionnaires autoroutiers peut risquer en elle-même de leur procurer des recettes dont la croissance à long terme est quasiment garantie », donc même sur l’avenir on prend des engagements, ce document le dit. « Des charges qui globalement progressent moins vite que le chiffre d’affaires, et qui, s’agissant des investissements, sont partiellement compensées ».
Enfin, sur la dette qui a augmenté depuis la privatisation, qui permet de bénéficier d’un avantage fiscal dans la mesure où les intérêts de ces emprunts peuvent être déduits du bilan global et économique.
Donc, est-ce qu’on ne dispose pas, avec ce document, de l’étude que vous appelez de vos vœux ?

Deuxième question, et je terminerai là-dessus : quelle suite a pu être donnée à ce rapport qui émettait également des recommandations à la fin, qu’est-ce qu’il en a été fait ?
Merci.


Les discussions se sont poursuivies autour de l’audition de monsieur Bruno ANGLES, représentant des sociétés concessionnaires d’autoroutes dans les discussions avec l’État sur les contrats de concession de 2014 à 2015.

Monsieur Angles, j’avais ramené justement le rapport sur lequel vous avez commencé votre intervention, le traité de la concurrence, je ne savais pas que j’en ferais état à cet instant, on l’a évoqué lors de l’audition précédente, mais je voulais revenir dessus.
Donc vous considérez que tout est faux dans ce rapport de l’Autorité de la Concurrence ? Qu’il n’y a aucune information valable ? Tout est à jeter à la poubelle selon vous ? Quel est votre avis exact sur que nous l’ayons, j’aimerai savoir si vous rejetez en bloc l’intégralité du rapport de l’Autorité de la Concurrence de septembre 2014.

Donc vous avez explosé l’Autorité de la Concurrence, est-ce que vous exploserez la Cour des Comptes ? La Cour des Comptes qui, en juillet 2013, un an avant le rapport de l’Autorité de la Concurrence, a sorti un rapport sur les sociétés épinglés par la Cour des Comptes. C’est le titre de l’article du « Monde », un journal sérieux, et la Cour des Comptes dit « la négociation des avenants au contrat de concession, notamment les contrats de plan et de suivi par le concédant, assurée par le seul Ministère chargé des transports des obligations des concessionnaires, se caractérise par des déséquilibres au bénéfice des sociétés autoroutières, souligne la Cour ». Est-ce que ce sont selon vous des propos malveillants de la Cour des Comptes ?

Je poursuis la lecture de l’article : « le système retenu pour calculer le tarif des péages a aussi conduit à des augmentations tarifaires supérieures à l’inflation, critique la Cour ». Autre problème : « l’Etat ne se montre pas assez exigeant en cas de non-respect de leurs obligations par les concessionnaires, qu’il s’agisse de préserver le patrimoine, de respecter les engagements compris dans les contrats de plans, ou de transmettre les données demandées. Par conséquent, la Cour recommande notamment de mettre en œuvre les dispositions contraignantes si besoin, de réaliser systématiquement une contre-expertise de tous les coûts prévisionnels des investissements. Il convient de faire évoluer un cadre qui conduit à une hausse continue et importante des péages autoroutiers ». Est-ce que ces recommandations de la Cour ont été suivies ?

Troisième point : vous évoquez les potentiels conflits d’intérêts. Je voudrais citer un autre épisode, impliquant un autre parlementaire. En 2014, 150 députés du groupe socialiste à l’Assemblée ont demandé au Gouvernement de réexaminer les contrats de concessions. C’était un peu compliqué pour le Gouvernement à l’époque, puisque c’était en pleines négociations avec les sociétés d’autoroutes sur un plan d’investissement de 3 milliards d’euros. Le Premier Ministre met en place un groupe de travail, dans lequel on trouve le député socialiste Jean-Paul Chanteguet, qui a claqué la porte de ce groupe de travail après quelques semaines en disant ceci : « on a bien compris qu’entre le représentant des sociétés concessionnaires d’autoroutes et la Haute administration, il y avait de nombreuses convergences. Je pense que ces grands groupes sont particulièrement puissants et qu’ils disposent d’un réseau qu’ils ont, en ces circonstances, actionné, réseau qui a fait preuve de son efficacité. »

Voilà les trois points que je voulais soumettre à votre réflexion.


Les auditions ont repris dans l’après-midi, d’abord par celle de M. Gilles de ROBIEN, Ministre de l’Équipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer de 2002 à 2005.

Merci pour vos propos Monsieur le Ministre, je crois qu’on est unanimes pour dire qu’on est heureux d’entendre ces mots. Dans un débat pluraliste, c’est toujours intéressant.
La question posée par notre collègue Michèle VULLIEN de « qui décide in fine », ça n’est pas une petite question dans la République, dans une démocratie.

On a bien compris que Bercy pèse beaucoup, on a souvent entendu ces propos, de plusieurs Ministres, s’il n’y pas le feu de Bercy en gros, il ne se passe rien ou pas grand-chose. Mais dans le mano a mano qui vous a opposé un moment donné avec Bercy, quel type d’arguments rationnels vous a-t-on opposé pour valider cette décision d’aller vers la privatisation des autoroutes ?

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