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Interview

Eric Bocquet dans Le Monde et sur France Inter sur les travailleurs détachés

Travailleurs détachés : les chiffres s’emballent en France

En 2017, le pays comptait un peu plus de 516 000 salariés détachés sur son territoire, soit une hausse de 46 % par rapport à 2016.

LE MONDE ECONOMIE Par Bertrand Bissuel

Voilà une nouvelle série de statistiques susceptibles de relancer le débat sur le dumping social induit par la construction européenne. En 2017, la France comptait un peu plus de 516 000 salariés détachés, hors transport routier, sur son territoire, un chiffre en très forte progression par rapport à 2016 : + 46 %, selon un « Bilan intermédiaire du plan national de lutte contre le travail illégal » (pour la période 2016-2018), dont Le Monde a pris connaissance. Le nombre de personnes envoyées par une entreprise étrangère pour une mission temporaire dans l’Hexagone ne s’est jamais hissé à un niveau aussi élevé ; pour mémoire, on en recensait un peu moins de 96 000, il y a dix ans.

Le document précise cependant que la nette augmentation, relevée depuis 2016, « est à prendre avec précaution » car elle coïncide avec la mise en place d’une nouvelle base de données – qui « permet d’enregistrer » davantage de déclarations de détachement. Auparavant, la collecte des informations était fondée « sur des remontées parfois incomplètes » des services déconcentrés du ministère du travail. De plus, un rapport remis en 2013 par le sénateur Eric Bocquet (PCF, Nord) avait constaté que « l’ampleur du détachement de travailleurs étrangers en France demeure délicate à évaluer », beaucoup des personnes concernées (« entre 220 000 et 300 000 ») n’étant pas déclarées.

Reste que cette forme d’emploi atteint des proportions non négligeables. Elle suscite de vives controverses, en particulier parce que la rémunération du travailleur relevant de ce statut est assujettie aux cotisations dues dans le pays d’envoi – et non à celles réclamées par la Sécurité sociale tricolore, qui sont souvent plus lourdes. D’où la critique, récurrente depuis l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale, selon laquelle le détachement favorise l’importation d’une main-d’oeuvre bon marché qui concurrence, de façon déloyale, les Français.

Les Portugais en tête

Les chiffres, qui ne tiennent pas compte du transport routier, montrent que le secteur de l’intérim concentre la plus grande part des déclarations de détachement : 24 % en 2016, le ratio s’élevant à 20 % dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) et à 18 % dans l’industrie.

Si l’on prend en considération la nationalité des salariés concernés, ce sont les Portugais qui arrivent en tête (un peu plus de 74 000 en 2017), devant les Polonais (61 000), les Allemands (45 000) et les Roumains (44 000). Les Français se classent au cinquième rang, 37 000 d’entre eux ayant été détachés dans l’Hexagone en 2017. Une situation très intrigante mais qui avait déjà été pointée du doigt par les magistrats de la Cour des comptes, dans un rapport sur la Sécurité sociale remis en 2014. Elle est liée, en grande partie, aux pratiques de « sociétés d’intérim basées à l’étranger » – notamment au Luxembourg –, qui proposent de la main-d’oeuvre tricolore à des entreprises établies en France ; en 2012, ces Français détachés dans leur propre pays étaient, aux « deux tiers » des Lorrains, selon la Cour. La haute juridiction avait dénoncé ces procédés irréguliers, qui engendrent des pertes de cotisations pour notre système de protection sociale.

« Plan de contrôle »

Pour combattre la fraude au détachement, un « plan de contrôle » a été lancé, il y a quelques années, mais celui-ci semble avoir marqué le pas : en 2017, l’inspection du travail est intervenue 965 fois en moyenne dans ce cadre, contre 1 330 en 2016, « soit une baisse de 27 % ». Le BTP « reste de très loin » le premier secteur visé – avec 59 % des actions de vérification – en raison, notamment, des « fraudes particulièrement importantes » dans cette branche et des signalements « de la profession ». L’arsenal répressif a été durci, avec – entre autres – l’introduction en 2014 des amendes administratives : il y en a eu un peu plus de 1 000, mises en recouvrement l’an passé, contre 453 en 2016 ; les sommes en jeu sont toutefois modestes (un peu moins de 6 millions d’euros en 2017).

Lorsque les « manquements » sont particulièrement graves, les services de l’Etat peuvent également ordonner l’arrêt pur et simple de « l’activité menée en infraction aux règles du détachement » : à ce titre, « trois fermetures d’établissement » ont eu lieu l’année dernière et onze suspensions de prestations de service ont été prononcées.

Vous pouvez retrouver l’article du Monde en ligne : http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/02/05/travailleurs-detaches-les-chiffres-s-emballent-en-france_5251933_3234.html

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