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Intervention à la tribune

Eric Bocquet émet des réserves sur une proposition de loi sur les assurances en temps de pandémie

Ce mardi 2 juin, le Sénat analysait une proposition de loi "tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure". Il a proposé l’intervention générale au nom du groupe CRCE.

« Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Nous examinons la proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure.

En effet, le texte qui nous est proposé n’est pas sans rappeler les termes de la demande formulée par le PDG d’Axa il y a quelques semaines dans la presse, visant à créer après la crise du coronavirus, un « régime d’assurance pandémie ».

Effectivement, dans cette interview dimanche 5 avril dernier, le PDG d’Axa, Monsieur Thomas Buberl avait annoncé sa volonté, je cite : « de créer après la crise du coronavirus, un régime d’assurance pandémie inspiré de celui qui existe déjà pour les catastrophes naturelles et qui pourrait appartenir à 50 % à l’Etat et à 50 % à un pool d’assureurs privés. »

Or, il se trouve que la proposition de nos collègues ambitionne, je cite l’exposé des motifs : « d’instaurer une couverture obligatoire des entreprises par les assurances pour les pertes générées par une menace ou une crise sanitaire grave, ainsi qu’à permettre le financement de cette couverture obligatoire par un fonds de l’État. »

L’analogie entre les propos du directeur général d’AXA et l’exposé des motifs est assez frappante.

Nos collègues sont suffisamment rigoureux pour connaitre les besoins des entreprises qui subissent les conséquences des fermetures et des baisses d’activité.

Je rappellerai ici les propos de la Présidente de la Fédération Française des Assurances qui déclarait le 13 avril dernier au Figaro, je cite qu’ « en France, les pertes d’exploitation liées à la pandémie se chiffrent à près de 60 milliards, si nous devions indemniser l’intégralité des pertes d’exploitation, cela reviendrait à mettre le secteur de l’assurance par terre ».

Pourtant, ces dernières années le chiffre d’affaires du secteur de l’assurance en France a progressé, au point de placer l’Hexagone en tête du marché européen avec 2 609 milliards d’euros de cotisations.
Sans doute sera-t-il nécessaire d’établir un bilan exhaustif et sincère de l’intervention des assurances auprès des entreprises dans cette crise.

Ainsi, l’assureur français n°1 a enregistré un bond de 80% de son bénéfice net à 3,86 milliards d’euros en 2019. 3,4 milliards d’euros reversés à ses actionnaires sous forme de dividendes, et on demande en même temps aux salariés de prendre entre 5 à 10 jours de congés payés sur le mois d’avril.

Alors, quand on parle de mettre en place un « paratonnerre économique » qui protégerait les entreprises des pertes d’exploitation consécutives à une menace, il semblerait que la couverture proposée par ce paratonnerre ne soit pas tout à fait intégrale.

Puisqu’en réalité, les petites entreprises ne paieront pas forcément la surtaxe demandée sur leur contrat, pour les protéger contre les pertes d’exploitation générées par les mesures prises dans le cadre d’une menace ou d’une crise sanitaire grave.

A l’inverse, vous prévoyez que l’Etat se chargera de prendre en charge les salaires avec le chômage partiel et les impôts et les taxes.

Il aura fallu, je le rappelle, que le Président de la République déclare le 13 avril dans son allocution télévisée que « les assurances doivent être au rendez-vous de cette mobilisation économique. J’y serai attentif », fin de citation, pour que les compagnies d’assurance s’engagent à verser, dans un premier temps, 400 millions d’euros pour l’hôtellerie-restauration dans le plan tourisme, alors même que, cela vient d’être rappelé, sur la période, la diminution mécanique du nombre d’accidents a permis aux assureurs d’économiser plus de deux milliards d’euros d’indemnisation.

C’est d’ailleurs toute la subtilité de cette proposition de loi qui semble critiquer l’absence « morale » des assureurs et qui fait financer la garantie uniquement par les entreprises et l’Etat.

Puisque la proposition de loi appelle les compagnies d’assurance à la générosité sous la forme d’une contribution au fonds d’indemnisation des très petites entreprises.

Je rappelle que les 400 millions d’euros initiaux versés par les assurances pour aider l’hôtellerie-restauration représentent moins de 1% du total des réserves des assurances, qui se sont élevées en 2019 à 54 milliards d’euros.
Ces résultats vont probablement augmenter en 2020, puisque selon l’UFC Que Choisir, le confinement a entraîné une chute de 91% des accidents corporels et par conséquent diminué les indemnisations des compagnies d’assurance pour un montant allant entre 1,4 milliard et 2,3 milliards d’euros.

Enfin, il faut noter que la proposition de loi ne concerne en réalité pas uniquement les pandémies puisqu’elle a vocation à couvrir la « menace de crise sanitaire grave », concept un peu large, un peu flou, peut-être faudra-t-il bien du plaisir aux juges pour définir en cas de contentieux une « menace de crise sanitaire grave ».

En conclusion, cette proposition sur la forme d’une garantie pandémie s’est largement inspirée de la proposition des assureurs.

Cette proposition porte, certes, des aspects pragmatiques intéressants mais nous pensons qu’elle fait la part trop belle aux compagnies d’assurance, et il y a matière à travailler davantage de ce point de vue.

Avec ce modèle, le risque existe que ce soient essentiellement les grandes entreprises qui auront les reins financiers assez solides pour prendre cette garantie et en cas de nouvelle crise sanitaire, elles seront indemnisées par leur assurance.

A l’inverse, les petites entreprises, notamment les plus fragiles d’entre elles, pour lesquelles la sur-cotisation va représenter un coût trop important, pourraient faire le choix de ne pas y souscrire, et dans ce cas, une nouvelle crise sanitaire pourrait leur être fatale.

Cette proposition risque d’être d’une efficacité assez limitée, puisque les petites entreprises sont justement celles qui sont soumises le plus fortement aux aléas, et si elles ne peuvent obtenir une indemnisation de la part de leur assurance, elles seront comme aujourd’hui contraintes de demander l’aide de l’Etat ou éventuellement de cesser complètement leur activité.

Enfin, cette proposition est, selon nous, encore trop déséquilibrée puisqu’elle exige des pouvoirs publics de prendre en charge les dépenses de personnel et les impôts et taxes, et laisser les grandes entreprises bénéficier des aides de leurs assurances, tout en maintenant le versement des dividendes aux actionnaires, le cas échéant.

Notre avis est donc réservé sur cette proposition et, compte-tenu des réserves émises, nous nous abstiendrons sur le vote final. »


La presse en a parlé :

Cette proposition de loi, qui a été adoptée, a été commentée dans la presse. L’intervention d’EricBocquet a d’ailleurs été citée dans un article de Public Sénat

« Du côté des communistes, Éric Bocquet a précisé que les assurances françaises sont « en tête du marché européen » du secteur. La gauche s’est abstenue et prévoit de déposer une autre proposition de loi avec un mécanisme différent financé par un prélèvement direct sur les bénéfices des assureurs. »

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