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Eric Bocquet en visite à la prison de Maubeuge

Ce lundi 19 février, Eric Bocquet s’est rendu à la prison de Maubeuge en compagnie de Sophie Filippi-Paoli, journaliste à la Voix du Nord.

L’article qui découle de cette visite est paru, nous vous proposons de le découvrir ci-dessous

Derrière les barreaux de la prison de Maubeuge

Sous les projecteurs pendant le mouvement des gardiens de prison fin janvier à cause de l’agression d’une surveillante, la prison de Maubeuge est pointée du doigt par les syndicats comme étant la plus tendue de la région. Nous avons pu y entrer, visiter les lieux et discuter avec des détenus.

Sophie Filippi-Paoli

Les détenus sont parfois trois par cellule avec un matelas posé au sol pour le troisième

Des locaux souvent délabrés
Même si elle date de 1990, la prison de Maubeuge (400 places) affiche un état certain de délabrement dans ses bâtiments cruciformes : les murs sont décrépis, certaines cellules tachées, les douches qui ne sont pas en accès libre cumulent moisissures et déchets. Dans la maison d’arrêt, un étage n’a plus de chauffage, on voit des ordures dans la cour et les vitres d’entrée du centre de détention sont fissurées. Dans les cellules, les détenus se retrouvent parfois à trois dans 9m2 avec des douches trois fois par semaine pour la maison d’arrêt. Côté centre de détention, les cellules sont individuelles et une cuisinière est en accès libre. Toutes ont la télé. Enfin, le quartier disciplinaire aligne six d’étouffantes cellules grillagées.

La violence : « Pour ne pas me faire frapper, je reste dans ma cellule »
On les rencontre seuls, près de leurs lits superposés. Ils sont deux, l’un a 22 ans, l’autre 28. Encouragé par son cadet, A. raconte qu’il vient de changer de cellule parce qu’il a été violé par son codétenu : « J’étais en état de choc dans la cour de promenade, je ne voulais pas rentrer, je hurlais. Ils m’ont amené ici. » Il ne portera pas plainte : « Cela m’est déjà arrivé à Béthune, j’ai porté plainte, l’autre a été condamné. Je suis sorti à 9h de la prison, une demi-heure plus tard, je partais vers l’hosto tellement sa famille m’avait défoncé la tête. » Pour eux, la violence est là partout, tout le temps : « Ceux qui veulent te taper, ils attendent la promenade. Du coup, on préfère pas sortir. » Comme beaucoup d’autres, ils sont sur liste d’attente pour pouvoir travailler : « On ne fait rien, on n’en peut plus, explique celui de 22 ans, en maison d’arrêt depuis deux ans. Lui a été ébouillanté par son codétenu, sans raison, pendant qu’il dormait dans sa cellule de Douai : « On a dû m’opérer mais je n’ai pas de séquelles. » Originaire de Roubaix, C. fait des pompes dans sa cellule du quartier disciplinaire : « J’ai été transféré de Sequedin. On est que deux de Roubaix. Mais je ne vais pas me laisser faire. Je ne vais pas rester dans ma cellule, comme ceux qui ont peur. Celui qui vient, je lui rentre dedans, c’est obligé. »

Les représailles : « En sortant, je m’occuperai de lui »
Que ce soit au centre de détention (les condamnés longue peine), à la maison d’arrêt (prévenus et condamnés) ou au quartier disciplinaire, les détenus ont tous le même discours : il faut se faire respecter dès le départ, sinon… « Ils peuvent s’en prendre à toi mais aussi à ta famille à l’extérieur. » La plus grande peur de tous. À 26 ans, I., qui vint d’entrer au centre de détention, estime que la prison de Maubeuge est cependant plus calme que celle de la région parisienne où il s’est retrouvé : « Ici, ils jouent les petits caïds mais en face-à-face, ils ne valent plus rien. D’expérience, les plus dangereux sont ceux qui parlent très peu. » Encore tremblant, A. a cependant déjà prévu de s’en prendre à son violeur : « Dès que je sors, mes cousins et moi, on va s’en occuper. »

Le trafic : « Pour récupérer un truc, tu passes la balayette par la fenêtre »
Au fil des couloirs, on observe des bandes blanches de papier toilette déroulées depuis les fenêtres des cellules. « Si tu veux récupérer un truc, tu passes la balayette des toilettes par la fenêtre, comme une pêche aux canards », explique, gestes à l’appui, ce détenu de la maison d’arrêt, vu sans la direction. Tout y passe : la drogue, des téléphones, du tabac. « Après t’as intérêt à payer. » Pour tous les détenus, le trafic existe dans toutes les prisons. À Maubeuge, ceux à qui nous avons parlé n’ont jamais vu d’armes circuler mais sont « persuadés qu’il y en a ». La drogue, elle, est bien présente : des odeurs de marijuana flottent dans l’air et on a vu un joint traîner dans une cellule.

Le mouvement de protestation : « Pas de parloir, pas de douche, pas de téléphone »
Les 20 et 21 janvier des détenus ont refusé de regagner leur cellule à la prison de Maubeuge. D’abord au centre de détention puis à la maison d’arrêt. « À cause du mouvement social, il n’y avait pas de parloir, pas de douche, pas de téléphone, on n’en pouvait plus », explique B. « Même en temps normal, note Philippe, chef pénitentiaire, le moindre refus prend des proportions terribles alors là… »

Une dizaine de détenus radicalisés
La prison compte une dizaine de détenus radicalisés, mélangés aux autres. Nous avons pu en interviewer un, encore « en observation ». Entre tapis de prière et barbe fournie, C. n’a montré aucune réticence à serrer la main d’une femme ou à lui parler. Il a expliqué pouvoir pratiquer sa religion sans problème dans la prison (une salle est dédiée aux pratiques religieuses), s’est défendu de faire du prosélytisme. Un surveillant explique : « Nous notons si le détenu retrousse son pantalon comme le Prophète, refuse de serrer la main d’une femme ou de lui parler, s’il récite des sourates dans les couloirs… D’après nos observations, c’est les fraîchement convertis qui créent des problèmes, pas les autres. »

Des listes d’attente pour tout
Selon l’Observatoire international des prisons, l’établissement de Maubeuge était occupé à 109 % en décembre 2018. Pour la direction, depuis juin, la situation est particulièrement tendue à cause de nombreuses incarcérations et d’entrées dues au désencombrement des autres prisons de la région. « On a eu jusqu’à huit matelas au sol, c’est du jamais-vu. » Du coup, les prévenus (en attente de jugement) et les condamnés sont parfois mélangés dans les unités et les listes d’attente s’allongent pour les activités, les formations, le travail, les rendez-vous médicaux. « Nous avons trois psychologues. Il faut attendre trois ou quatre mois pour les voir et encore plus pour un rendez-vous avec un psychiatre. » Et ce alors que les détenus ont de plus en plus de troubles du comportement.

Les coulisses
Au départ, notre démarche était de donner une suite au mouvement national de colère des gardiens de prison. Nous voulions voir dans quelles conditions ces surveillants travaillaient. Ce sont les syndicats et l’observatoire international des prisons basé à Paris qui nous ont parlé de Maubeuge comme la prison la plus sous tension.

Le soutien du sénateur PC Éric Bocquet et la loi Urvoas qui, depuis 2016, permet aux parlementaires d’être accompagnés de journalistes lors de leurs visites en prison, ont fait le reste. Notre arrivée a donc été une surprise pour le directeur de la prison de Maubeuge qui nous a fait visiter l’établissement et nous a permis de nous entretenir avec les détenus sans aucune réticence.

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