À la tribune

Dans l'hémicycle

Eric Bocquet intervient dans le premier débat suivant le dépôt du rapport annuel de la Cour des Comptes

Pour la première fois au Sénat, un débat est organisé à la suite du dépôt du rapport annuel de la Cour des compte.
C’est Eric Bocquet qui s’est exprimé, au nom des sénatrices et sénateurs du groupe CRCE, sur ce bilan des politiques menées au cours de l’année passée.

Monsieur le président, Madame la première Présidente de la Cour des Comptes, Chers collègues, Nous nous retrouvons, comme chaque année, devant le rapport public annuel de la Cour des comptes, mais effectivement, le Président Larcher vient de le rappeler, la parole est aujourd’hui donnée à tous les groupes politiques, après la présentation de ce rapport, et je veux moi aussi saluer cette décision. En ces temps difficiles, le débat parlementaire ne nuit pas à la démocratie. Malgré tout le respect que nous avons pour les magistrats de la Cour des comptes, dont les travaux sont régulièrement utilisés, évoqués dans ces murs, l’obsession omniprésente de la réduction de la dépense publique exposée nous fait grincer des dents. Réduire le déficit et la dette publique, rationaliser les dépenses, voilà le discours que l’on entend régulièrement au fil des pages du rapport. La France y est montrée comme le mauvais élève de l’Union Européenne, nous faisant croire que le non-respect des règles budgétaires de Bruxelles implique forcément un « retard ». Il s’agirait, selon nous, de sortir, de se libérer un peu de cette vision étriquée afin de comprendre que la dette publique n’est pas nécessairement un problème en soi – je sais qu’on ne partage pas tous cet avis, mais je suis convaincu de cette idée. Réduire la dépense publique dans l’unique but de réduire la dette est contre-productif car couper dans les dépenses c’est priver la population et, au bout c’est aussi freiner la croissance. Cette même critique et l’encouragement à s’endetter pour investir se retrouve aujourd’hui dans la bouche d’un ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, ce n’est pas rien ! Qui plus est, selon nous, le bilan du quinquennat en cours (et sans doute aussi des précédents) est assez limpide. Si la Cour des comptes estime que le Gouvernement s’est amputé de deniers publics pour répondre aux mouvements sociaux liés aux « gilets jaunes », le manque à gagner semble plutôt provenir de l’ensemble des cadeaux fiscaux réalisés en faveur des très riches et des entreprises, essentiellement : substitution de l’ISF par l’IFI, cumul du CICE avec son remplacement par des allègements de cotisations patronales, baisse de l’impôt sur les sociétés, « flat-tax », suspension des versements des acomptes de la « taxe GAFA », entre autres mesures récentes… Les mesures annoncées pour un soi-disant changement de trajectoire budgétaire ont en réalité touché les classes moyennes supérieures, cela a été dit. Sur le coût total de 10 milliards d’euros en 2020 de baisse des prélèvements obligatoires, la seule mesure d’allègement d’impôts sur le revenu en représente la moitié, alors que moins d’un ménage sur deux paie cet impôt. Les différentes mesures prises bénéficient aux plus riches, en oubliant les populations les plus précarisées qui sont au contraire visées par la baisse des prestations sociales ou encore la réforme de durcissement de l’assurance chômage. La Cour cible pourtant comme marge d’action financière des politiques comme les aides au logement, alors que l’Etat les a déjà réduites de 3 milliards d’euros depuis 2017, ce qui est à peu près le coût pour les finances publiques de la suppression de l’ISF… Cela à rebours des impératifs sociaux rappelés sans cesse par la fondation Abbé Pierre notamment : 4 millions de personnes mal logées ou privées de domiciles, 12 millions en situation de fragilité en matière de logement. Les récents travaux tant du Comité d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital, institué par le Gouvernement lui-même, que de l’OFCE, révèlent que les récentes réformes ont surtout bénéficié aux 5% les plus riches, aspirant à eux seuls plus du quart des 17 milliards d’euros distribués aux ménages depuis 2017, avec un gain de 2 905€ par an, alors que le mythe du ruissellement n’est en rien mesurable. Dans le même temps, les 5% les plus pauvres subissent une perte sur leur niveau de vie de 240 € par an. Depuis 2017, notre pays accuse une baisse cumulée des dépenses publiques de 78 milliards d’euros, alors que ce sont les Français et Françaises les moins favorisés qui dépendent le plus de la qualité et du développement des services publics. Si les magistrats de la Cour pensent qu’un niveau élevé de dépenses en faveur d’un service public n’est pas un gage de qualité de service pour nos concitoyens, pensent-ils alors qu’un niveau de dépenses publiques faible puisse être, lui aussi, un gage de qualité ? Les inégalités se creusent, le taux de pauvreté augmente, et contre le dogme libéral d’accroissement de la performance de nos dépenses, nous défendons, quant à nous, la plus grande qualité et la plus grande proximité des services publics qui sont facteurs d’égalité dans cette société. Le virage « social » de ce Gouvernement est en fait un mirage social derrière S’agissant de la réforme des retraites, qui n’a d’universelle que le nom, c’est dans l’actualité, le rapport de la Cour des comptes est ici révélateur des dangers qu’ouvre cette réforme par points puisqu’en étudiant le régime complémentaire AGIRC-ARRCO, les magistrats décrivent comment les comptes ont pu être redressés par la sous-indexation de la valeur de service du point permettant de faire varier plus vite sa valeur d’achat, et d’inciter à des départs à la retraite plus tardifs. Mais le pouvoir s’obstine devant le mécontentement des Français et Françaises qui ne sont pas dupes. Pour conclure, Madame la première Présidente, mes chers collègues, j’ai bien écouté vos propos sur la nécessaire amélioration des comptes publics, mais chacun comprendra que je ne partage pas vos conclusions tout à fait. Une citation pour terminer, Robert Sabatier qui nous a dit : « Lorsque la mémoire était la seule écriture, l’homme chantait. Lorsque l’écriture naquit, il baissa la voix. Lorsque tout fut mis en chiffres, il se tut. » Ce soir, le Sénat ne s’est pas tu, et c’est une très bonne chose. Merci.

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