À la tribune

Intervention à la tribune

Eric Bocquet intervient sur la convention fiscale France-Luxembourg

Eric Bocquet est intervenu à la tribune pour une explication de vote, au nom du groupe CRCE, lors de l’examen du projet de loi "Convention France-Luxembourg, éviter les doubles impositions et prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune".

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

L’examen de cette convention fiscale entre la France et le Luxembourg aurait pu donner lieu à un débat serein et consensuel à quelques jours de Noël.

En effet, le Luxembourg ne figurant sur aucune liste des paradis fiscaux mondiaux, le Parlement pouvait valider sans réserve le texte en l’état. Qui voudrait mettre en cause la sincérité des engagements de notre partenaire européen historique ?

S’agissant du Luxembourg, le document qui nous est soumis mérite un examen attentif et minutieux. Cet Etat est le premier investisseur étranger en France avec un stock de 136 milliards d’euros en 2016.

Plus de 900 filiales françaises sont installées au Grand-Duché, elles sont actives principalement dans les services financiers et d’assurances, 48% des entreprises réalisant 54% du chiffre d’affaires total et employant 43% des effectifs, dont des holdings. Ce pays de près de 600 000 habitants compte plus de 100 000 entreprises enregistrées, soit un ratio de 1 entreprise pour 6 habitants.

La France, pour sa part, avec ses 67 millions d’habitants, compte 2 870 000 entreprises sur l’ensemble de son territoire, métropolitain et ultramarin confondus, ce qui représente un ratio de 1 entreprise pour 23 habitants.

Effectivement, le Luxembourg mériterait une attention particulière, c’est un poids lourd de l’industrie financière mondiale. En voici quelques indicateurs. En janvier 2017,
• 3 500 milliards d’actifs sous gestion
• 1er centre de fonds d’investissements en Europe ;
• 2ème centre d’investissement au monde après les Etats-Unis ;
• 143 sièges sociaux de banques ;
• Enfin, 55 devises et 72 dettes souveraines cotées au Luxembourg.

Chacune et chacun peut le constater, le Luxembourg joue dans la cour des grands. D’ailleurs, ces dernières années, au plan mondial, le Grand-Duché a considérablement renforcé ses liens avec la Chine, il accueille les 6 premières banques chinoises et gère 69% des fonds d’investissement chinois en Europe. La Bourse du Luxembourg est devenue la première place boursière après Hong-Kong à coter des emprunts obligataires en monnaie chinoise.

Le Grand-Duché a fait la une de toute la presse en 2014 avec les révélations fracassantes de l’affaire dite « Luxleaks », rendues possibles non pas par les autorités politiques des Etats mais grâce à l’action des lanceurs d’alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet.

Ces informations ont dévoilé au grand jour les énormes avantages fiscaux accordés par le Luxembourg à l’entreprise Amazon, ayant comme conséquence que près des trois quarts des bénéfices d’Amazon n’étaient pas imposés.

La Commission a reproché à Amazon d’avoir utilisé deux filiales différentes pour payer très peu d’impôts.

La majeure partie de l’argent était, en fait, transférée à une coquille vide au nom de prétendues redevances sur la propriété intellectuelle, une filiale n’ayant ni salariés, ni bureaux, ni activités commerciales.

D’autres incertitudes sérieuses caractérisent la nature économique du Grand-Duché du Luxembourg. L’abondance de l’argent liquide intrigue nombre d’observateurs. En 2014, le Luxembourg a émis deux fois son PIB en cash alors que les émissions des autres pays se limitent le plus souvent à 10% de leur richesse nationale.

Nous sommes également interpellés par le fait que la Commission européenne a été poussée à poursuivre le Luxembourg devant la Cour de Justice de l’Union européenne pour n’avoir que partiellement transposé dans son droit national la 4ème Directive anti-blanchiment.

Pour conclure, je citerai les propos du Ministre des Finances du Luxembourg, M. Pierre GRAMEGNA, dans une interview donnée à la presse le 21 mars 2018, à la question suivante qui lui fut posée : « Comment se porte la place financière du Luxembourg 3 ans après les Luxleaks ? ».
Sa réponse fut celle-ci : « L’année 2014 fut décisive avec l’annonce par le Luxembourg de l’abandon du secret bancaire. Nous l’avons fait. De nombreux observateurs pensaient que nous allions perdre en attractivité, ce n’est pas le cas… nous comptons aujourd’hui davantage de clients fortunés que dans le passé. Nos fonds d’investissement viennent de dépasser les 4 200 milliards d’euros d’avoirs en gestion », soit 700 milliards de plus en une seule année.

Chers collègues, le Sénat avait, dans sa séance du 21 décembre 2011 rejeté la convention fiscale avec le Panama pour la raison suivante, je cite le communiqué de la commission des finances de l’époque : « les circonstances ne conduisent pas à lever toutes les incertitudes pesant sur l’accès aux informations… » Ces propos furent tenus 5 ans avant les Panama Papers.

Nous sommes aujourd’hui à 4 années après les Luxleaks. Il nous paraît impossible et dangereux de signer la convention fiscale France-Luxembourg aujourd’hui compte tenu de toutes les hypothèques à lever s’agissant du Luxembourg.

Pour sa part, le groupe CRCE, sans aucune hésitation, émettra un vote négatif à l’approbation de cette convention.

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