À la tribune

Projet de loi de Finances pour 2020

Les sénateurs mobilisés pour l’examen de la mission "Solidarité, insertion et égalité des chances"

Vendredi 29 novembre 2019, le Sénat examinait les crédits accordés aux différentes missions des Ministères.

Eric Bocquet, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur cette mission, puis Michelle Gréaume, au nom du groupe CRCE, se sont exprimés dans ces débats.

C’est d’abord Eric Bocquet, co-rapporteur de la mission "Solidarité, insertion et égalité des chances" avec Arnaud Bazin, qui s’est exprimé à la tribune :

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Mon collègue Arnaud Bazin vient de parfaitement souligner les insuffisances et incohérences budgétaires dont souffre cette mission, mais il ne s’agit malheureusement pas des seules, Madame la Ministre.

Je souhaitais à cet égard pointer trois autres sujets d’inquiétudes :

  • d’abord la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, que vous avez lancée en octobre dernier. Si l’ambition de ce plan est louable, nous nous interrogerons sur son financement et ses modalités de mise en œuvre. Une enveloppe de 30 millions d’euros a été ouverte, à laquelle devraient s’ajouter 20 millions d’euros « par redéploiement » selon les termes du Gouvernement. Mais, je vous interroge, Madame la Ministre, comment se fera ce redéploiement, et pensez-vous que ce montant soit suffisant au vu des enjeux en la matière ?
  • autre sujet d’inquiétude : le financement de l’aide alimentaire, qui fut l’objet de notre précédent rapport de contrôle. Le système d’aide alimentaire français – qui bénéficie aujourd’hui à près de 5,5 millions de personnes – apparait, plus que jamais, fragilisé par les difficultés de gestion liées au fonds européen d’aide aux plus démunis. Ces difficultés font peser de vrais risques budgétaires pour la France : ce serait, au bas mot, 70 millions d’euros – dus à des non-remboursements de la part de la commission européenne – qui devront être compensés sur le budget de l’État. C’est assez dramatique, d’autant que la prochaine programmation se profile.

Madame la Ministre, je sais que vous suivez ce dossier de près mais il est impératif que l’État tire les conséquences de ces défaillances, pour que, in fine, les bénéficiaires – les plus fragiles de nos concitoyens – ne soient pas encore les victimes collatérales d’une mauvaise gestion de l’État.

Par ailleurs, sur ce sujet de l’aide alimentaire, Madame la Ministre, je souhaitais vous interroger sur l’incohérence de la réforme du mécénat que vous portez. Les associations d’aide alimentaire – dites « loi Coluche » – ont été exclues du champ d’application du dispositif. Néanmoins, cette dérogation s’applique seulement aux structures « qui procèdent à la fourniture gratuite de repas », et tend donc à exclure les épiceries solidaires, dont le modèle reposant sur la participation symbolique des bénéficiaires pourrait être remis en cause, ce qui est regrettable.

Dernier sujet que je souhaitais aborder, dont la réponse gouvernementale, n’est pas – là encore – à la hauteur des enjeux : les crédits dédiés aux politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, qui sont en partie portés par le programme 137, de la mission Solidarité.

Plus que jamais, cette priorité politique – déclarée comme telle par le Gouvernement – doit passer des paroles aux actes. Habitué à s’attribuer la création de mesures déjà existantes ou à faire fi des politiques passées, le Gouvernement semble, sur ce sujet, se heurter à l’épineuse question budgétaire.

Nous souhaitons ainsi faire trois séries d’observation pour rétablir la réalité des chiffres :

  • d’abord, nous sommes très loin du milliard annoncé pour l’égalité et la lutte contre les violences faites aux femmes, comme nous avons pu le démontrer dans notre rapport. Nous constatons même la diminution des crédits dédiés à la lutte contre les violences, au sein du programme 137, entre 2019 et 2020 ;
  • par ailleurs, aucune mesure budgétaire concrète n’a été annoncée pour financer les mesures du Grenelle contre les violences conjugales. Interrogé, le cabinet de Mme Schiappa n’a, semble-t-il, pas jugé utile de nous répondre. Madame la ministre, pourriez-vous peut-être nous éclairer sur la budgétisation de ces mesures annoncées ?
  • Enfin, les associations ont dû affronter une hausse sans précédent de demandes depuis le mouvement « me too », sans bénéficier parallèlement, pour certaines d’entre elles, de hausse de crédits. Par ailleurs, le peu de considération du ministère vis-à-vis des associations nous laisse quelque peu perplexe : certaines structures n’ont pas encore reçu leurs subventions au titre de cette année, ni d’informations quant au renouvellement de leurs conventions pluriannuelles qui débutent en 2020.

Dans ces conditions, nous présenterons un amendement, avec mon collègue Arnaud Bazin, tendant à augmenter les crédits dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes, crédit d’un million d’euros.

Néanmoins, pour les différentes raisons évoquées précédemment, j’avais émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission.

La commission des finances a finalement décidé, pour sa part, d’adopter ces crédits.

Je vous remercie de votre attention.


C’est ensuite Michelle Gréaume, au nom des sénatrices et sénateurs du groupe CRCE, qui a prononcé l’intervention générale avant l’examen des crédits de cette mission.

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes Cher.e.s collègues,

Près de 15% de la population française vit en dessous du seuil de pauvreté. Chiffre en augmentation. 1 enfant sur 5 en est victime.

La France, pourtant 6ème puissance économique mondiale, est un pays où les inégalités se creusent, où les pires injustices côtoient les fortunes les plus insolentes.

J’ai souhaité commencer mon propos par ces chiffres parce que le budget dont nous débattons aujourd’hui doit nécessairement s’apprécier au regard de ces chiffres, qui sont autant de parcours de vie, faits d’angoisse, de difficultés, de privations, de projets et d’ambitions refoulées, de peur de l’avenir.
C’est au regard de l’ampleur des urgences sociales, du chantier immense de l’égalité que nous pouvons faire la différence entre ce qui relève de l’aumône ou de la justice sociale, de la charité ou du respect de la dignité.

Manifestement votre budget, au-delà des apparences, n’est pas à la hauteur de la situation et de ces exigences.

Je prendrai trois exemples.
Vous vous félicitez d’abord de la revalorisation de la prime d’activité, alors que celle-ci n’est qu’un cache-misère social. Les Gilets Jaunes, auxquels vous avez répondu notamment par cette prime, et plus globalement tous les travailleuses et travailleurs de ce pays, ne demandent pas la charité mais de pouvoir vivre dignement de leur travail. Or des millions de salariés ne le peuvent pas car leur salaire ne le permet pas. La vraie question est celle de l’augmentation du SMIC et des salaires. A l’inverse, vous maintenez un SMIC à un niveau trop bas, et vous soutenez les entreprises dans leur politique de régression salariale en leur accordant des exonérations et allègements de cotisations sociales sur les bas salaires.

La prime d’activité, même revalorisée, est insuffisante pour augmenter significativement le pouvoir d’achat. Contrairement aux augmentations de salaires, elle ne concerne pas tout le monde. Mais surtout, elle est financée par les salariés eux-mêmes ! C’est bien à ce tour de passe-passe que nous assistons quand vous ne compensez pas le coût des exonérations de cotisations sociales pour la sécurité sociale.

Deuxième exemple : la revalorisation de l’Allocation Adulte Handicapé. Pour souligner tout d’abord que la revalorisation à 900 euros par mois, qui reste en dessous du seuil de pauvreté, n’est pas une mesure exceptionnelle, et qu’elle aurait dû être prise il y a déjà plusieurs années pour compenser l’augmentation du coût de la vie. Mais surtout, elle est en partie annulée par le durcissement des règles de calcul pour les personnes vivant en couple. 67 000 allocataires sont concernés. Nous tenons, à ce titre, à réaffirmer notre opposition à la prise en compte des revenus du conjoint pour le calcul de l’AAH, comme nous l’avions signifié dans notre proposition de loi qui malheureusement n’a pas été adoptée. L’AAH est un droit individuel, censé garantir l’autonomie de la personne en situation de handicap, quelle que soit sa situation familiale.

La règle actuelle est non seulement pénalisante financièrement mais très discutable au plan moral, humain. Elle est aussi parfois vécue de façon infamante par des personnes placées ainsi en situation de dépendance économique vis-à-vis de leur conjoint.

Sur la question de l’égalité Femmes Hommes, c’est mon troisième point, la mission Solidarité, Insertion et Egalité des chances n’est pas au niveau ! La grande cause du quinquennat qu’est l’égalité Femmes/Hommes et, en particulier, la lutte contre les violences faites aux femmes, ne se traduit toujours pas budgétairement. Pire, les crédits pour le programme 137 sont en baisse, contrairement à ce que vous laissez entendre dans vos déclarations publiques. Votre gouvernement est loin d’être à la hauteur de la mobilisation exceptionnelle de nos concitoyennes et concitoyens sur la question des violences faites aux femmes. Les associations sont extrêmement déçues à l’issu du Grenelle. Beaucoup de bonnes intentions certes mais quels moyens humains, financiers pour les mettre en œuvre ?

C’est pourtant le cœur du sujet, immédiatement, au risque que ce Grenelle ne soit à l’image du mode opératoire de ce gouvernement : beaucoup de communication mais très peu d’engagements, pour encore moins de résultats. Des résultats qui, ici, ne sont ni plus ni moins que des vies humaines à sauver, des femmes en danger à qui il faut porter assistance et protéger. Il est bon de se le rappeler en permanence.

Nos concitoyennes et concitoyens attendent beaucoup plus que des demi-mesures. Ils sauront le rappeler utilement dès le 5 décembre à l’occasion des grèves et manifestations contre la réforme des retraites.

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