Chroniques

Le capitalisme de la surveillance

La chronique d'Eric Bocquet - Vendredi 6 décembre 2019

J’ai lu un ouvrage, il y a quelques temps, d’une universitaire et femme de lettres américaine, Shoshana Zuboff. Un opus de plus de 500 pages, en anglais, absolument passionnant. Son titre : « L’âge du capitalisme de la surveillance ». Un tel titre ne pouvait qu’attirer mon attention.

Après quelques semaines de décantation, ou plutôt devrais-je dire de distillation cérébrale, j’ai souhaité tenter vous le synthétiser. Le sujet, le numérique et son explosion ces 20 dernières années, et ses conséquences économiques, sociales, et politiques.

Un constat d’abord, aujourd’hui les technologies de l’information et de la communication sont plus répandues sur la planète que l’électricité, elles touchent 3 milliards des 7 milliards d’humains.

Elle rappelle aussi le poids de Google (créé en 1998) dans le monde aujourd’hui, 40 000 recherches par seconde, 35 milliards par jour et, en 2017, pour terminer ce bilan chiffré, 1,2 trillion au plan mondial sur l’année. Trillion, on n’est pas habitué, j’ai vérifié, cela doit faire 1 million de millions, soit un « 1 » suivi de 12 « zéros ».

L’entreprise Google atteint aujourd’hui une valorisation boursière de 400 milliards de dollars, supérieure à celle du pétrolier américain Exxonmobil ! Ça vous dit ? On a largement dépassé la quatrième dimension…

Quand on vous dit que les conséquences sont aussi politiques, pour l’élection de Barack Obama en 2008, les données personnelles de 250 millions d’Américains (sur une population totale de 330) ont été compilées, analysées, disséquées par des algorithmes. Ainsi, les spécialistes savaient pour qui les gens allaient voter avant même qu’ils n’aient pris leur décision !

Madame Zuboff nous dit ceci : « Les capacités du numérique perfectionnent la prédiction et le contrôle comportemental, permettant à la connaissance parfaite de supplanter le politique comme moyen collectif de prise de décision ». Effrayant. Orwell fait bien pâle figure désormais.

La société idéale des géants de la Silicon Valley en Californie, les GAFA, c’est une population d’utilisateurs distants, pas de citoyens. Il faut connaître les gens afin de les contrôler. Or, en démocratie, il n’y a pas de liberté sans incertitude. Le monde numérique veut annihiler l’incertitude.

Le stade ultime de ce processus c’est l’impression d’une absence d’alternative, résignation et sentiment d’impuissance. Au bout du bout, selon des enquêtes menées aux Etats-Unis, l’idéal démocratique n’est plus un impératif sacré, même pour les citoyens des sociétés démocratiques mûres. En effet, 46% des personnes sondées trouvent les alternatives démocratiques et non-démocratiques acceptables. Alors Orban en Hongrie, Salvini en Italie, Bolsonaro au Brésil et consorts peuvent surgir de l’ombre.

Ce livre ne se veut pas déprimant, il se veut une contribution à la prise de conscience des humains. Croyez-moi, c’est efficace !

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