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Intervention générale

Michelle Gréaume s’exprime pour le groupe CRCE sur la proposition de loi Carte vitale Biométrique

Le mardi 19 novembre 2019, le Sénat débutait l’examen d’une proposition de loi provenant du groupe Les Républicains pour la mise en place d’une carte vitale biométrique.
C’est Michelle Gréaume qui représentait les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE à la tribune pour exposer leur opinion négative sur ce texte, qui a finalement été adopté.

Madame la Ministre,
Madame la Présidente,
Madame le rapporteur,
Monsieur le Président de la Commission Sociale,
Mes Cher.e.s collègues,

Alors que nous entamons l’examen de la proposition de loi visant la création d’une carte vitale biométrique afin de lutter contre la fraude sociale, je voudrais vous faire ce petit retour en arrière.

En 2017, l’affaire des « Paradise papers » a dévoilé que l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes coûtait 350 milliards d’euros de pertes fiscales par an aux Etats du monde entier.

Cette fraude remet en cause le principe d’égalité de chaque citoyen face à l’impôt. Elle diminue les recettes publiques de centaines de milliards d’euros, qui auraient dû financer l’éducation ou la santé.
La fraude prend de multiples facettes.

Et nous regrettons que la majorité sénatoriale fasse le choix de s’attaquer en priorité à la fraude aux prestations sociales, qui est pourtant très loin d’être la plus importante.

Mi-septembre, le rapport d’information de la commission des affaires sociales a estimé la fraude documentaire entre 117 et 138,6 millions d’euros.

L’Assurance maladie, dans son bilan de 2018, a recensé 261 millions d’euros détectés comme abusivement remboursés. Cela représente 0,058% du montant total annuel des prestations versées par la Sécurité sociale.

Quant à la fraude à la carte vitale proprement dite, le rapport de la commission reconnait qu’elle « ne représente qu’un montant faiblement significatif ».

Alors pourquoi ? Pourquoi ce texte ?

Car même si nous n’acceptons pas les comportements frauduleux, il est légitime de s’interroger sur la pertinence et les raisons de ce choix.

D’autres types de fraude, qui pourraient rapporter bien davantage, mériteraient l’attention de notre assemblée.

Par exemple, la fraude au travail dissimulé. L’agence centrale des organismes de Sécurité sociale l’a estimée entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros en 2018. Un montant 7 fois supérieur à la fraude aux prestations sociales.

Ou encore la fraude aux cotisations sociales patronales, estimée par la Cour des comptes entre 20 et 24 milliards d’euros, soit 50 fois plus.

Enfin, la fraude fiscale en France, estimée à environ 80 milliards d’euros par le syndicat Solidaires finances publiques.

Mes chers collègues, votre objectif est-il réellement de lutter contre la fraude, ou davantage de stigmatiser les personnes précaires ou étrangères soupçonnées de profiter du système ?

Nous posons la question, car le fondement idéologique de la carte vitale biométrique n’est pas neutre.
Elle faisait partie du programme présidentiel de Marine Le Pen en 2007.

Nicolas Sarkozy l’a ensuite reprise.

Les Républicains au Sénat ont déposé un texte en 2015 sur la fraude sociale qui prévoyait sa création.

Les député.e.s l’ont rejetée à l’époque, la jugeant coûteuse et ardue à appliquer en raison du renouvellement du stock de cartes, et de la mise en place des mécanismes de recueil et de contrôle des éléments biométriques.

Mais surtout, les parlementaires ont soulevé la problématique de l’autorisation du contrôle des détenteurs des cartes vitales, puisqu’actuellement rien n’interdit d’aller en pharmacie avec une ordonnance et la carte vitale de sa voisine pour lui récupérer ses médicaments et lui éviter de se déplacer.

Ces motifs restent tout à fait valables. Et sans doute ont-ils motivés la décision de réduire l’application de ce texte à une expérimentation limitée dans le temps et à quelques caisses de sécurité sociale.

Alors que les politiques de santé des dernières années cherchent à réduire le temps administratif des médecins, vous voulez leur demander de contrôler les informations de la carte vitale ?

D’autant que si vous voulez vous attaquer à la fraude à la Sécurité sociale, il faudrait également regarder du côté de certains professionnels de santé. Toujours selon les chiffres de l’Assurance maladie de 2018, 47% de la fraude provient des offreurs de soins et de services, 30% des établissements et seulement 23% des assuré.e.s sociaux.

Il est dommage que vous ne prévoyiez aucune sanction à leur encontre.

Contrairement à ce que laisse penser ce texte, la carte vitale est uniquement une carte à puce permettant aux professionnels de santé, de connaître les droits du titulaire ou de ses ayants-droits.

Ce n’est pas une carte de paiement et encore moins une carte d’identité. Pourtant, vous proposez d’y enregistrer les empreintes digitales du titulaire de la carte, ainsi que les informations relatives à « l’identité, au sexe, à la taille et à la couleur des yeux du titulaire ».

Alors, si nous ne faisons pas d’amalgame entre le Rassemblement national et Les Républicains, avec cette proposition de loi, nous regrettons que vous vous engagiez sur le terrain de l’extrême droite, en stigmatisant les assuré.e.s sociaux et les personnes étrangères.

Les futures échéances électorales ne sauraient justifier le renforcement d’idées populistes et xénophobes, bien trop présentes actuellement dans notre pays.

La majorité sénatoriale aurait été mieux inspirée de s’en prendre à d’autres types de fraudes, je le répète, ou d’agir contre le non-recours aux prestations.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe CRCE votera contre cette proposition de loi.

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