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Discours - explication de vote

"Lutte contre la fraude" : fin de l’examen du texte en Commission Mixte Paritaire

L’examen en Commission mixte paritaire du projet de loi "Lutte contre la fraude" a donné lieu à un vote en séance le mardi 9 octobre 2018.

Eric Bocquet a alors pu s’exprimer au nom du groupe CRCE sur la question, et exprimer que le groupe CRCE voterait contre ce projet de loi :

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Au lendemain de l’ouverture du procès de la banque suisse UBS, votre projet de loi de lutte contre la fraude prend tout à coup un visage bien pâlichon. En effet, ce procès de toutes les démesures illustre à nouveau l’ampleur et la complexité de l’industrie de l’évasion fiscale.

Aux premières annonces de ce texte, il fut fait grand cas de la création d’une police fiscale, disposition majeure de ce projet de loi, quelques agents placés sous l’autorité d’un magistrat… dans le même temps, vous annoncez la suppression de 2130 postes au sein de la Direction générale des finances publiques pour l’an prochain, or le constat est fait depuis quelques années du recul du contrôle fiscal, selon certaines sources syndicales internes, en moyenne une entreprise, soumise à la TVA pouvait faire l’objet d’une vérification de comptabilité tous les quatre-vingt-quatre ans en 2008, c’est désormais tous les cent-trente ans.

S’agissant des particuliers, les contrôles de fond réalisés sur place passent de 4166 en 2008 à 3613 en 2017 (0,011% des contribuables en 2008, 0,009% en 2016). Ce ne sont pas moins de 3100 emplois qui ont été supprimés dans les services de contrôle fiscal depuis 2010.

Le procès UBS ouvert hier, se tient, il faut le rappeler, grâce à l’action des lanceurs d’alerte au sein de la banque qui alertèrent les autorités dès 2009 sur les pratiques illicites de leur banque. Ce présent projet de loi aurait dû être l’occasion de renforcer la protection des lanceurs d’alerte et de reconnaître leur rôle au sein des entreprises. La République devrait a posteriori leur apporter son soutien et sa reconnaissance, leur action permet à l’Etat de récupérer des sommes considérables.

Le cas d’UBS est aussi emblématique par le fait qu’il s’agit d’une banque suisse. Ce projet de loi prévoyait de revoir la liste française des paradis fiscaux composée de 7 Etats, nous les rappelons ici : Brunei, Nauru, Niue, le Panama, les Iles Marshall, le Guatemala et le Botswana, chacun pourra le constater, la Suisse n’y figure pas. On nous dit que le secret bancaire y est mort de sa belle mort et pourtant fin juillet dernier, au cœur de l’été, on apprend que le Tribunal administratif fédéral de Saint-Galles en Suisse, donne raison à la banque UBS qui refuse de répondre à la demande d’assistance administrative lancée par notre pays. A-t-on fait appel de cette décision ? Et on nous rappelle que la Suisse n’est plus un paradis fiscal…
La banque UBS, dès 2014, tente d’obtenir une « compensation sur reconnaissance préalable de culpabilité » (CRPC). Sans succès.

En 2016, la loi institue un nouvel outil de négociation inspiré du système américain, la « Convention judiciaire d’intérêt public », (CJIP), système qui permet de négocier une amende en reconnaissant les faits mais sans condamnation, c’est la négation du « name and shame » anglo-saxon, « nommer et blâmer ». En 2017, la banque HSBC, pour éviter un procès, toujours dommageable pour la réputation d’une honorable banque, accepte de payer une amende de 300 millions d’euros, après avoir reconnu une fraude de 1,6 milliard d’euros ! A l’heure où nos concitoyens doutent de plus en plus de l’action publique et de son exemplarité, pensez-vous, mes chers collègues, que ces dispositifs ne sont pas de nature à accréditer l’idée que la justice n’est pas la même pour tous, selon que vous serez puissant ou misérable ?
Le déroulement de cette CMP nous laisse aussi un goût amer après la décision de suppression d’un amendement qui avait été adopté à l’Assemblée nationale, contre l’avis du gouvernement.

Cet amendement portait sur la délicate question des prix de transfert au sein des entreprises considérant que les représentants du personnel jouent un rôle essentiel dans le combat contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales. Cet amendement proposait de permettre une information et une consultation de ces représentants quant à la politique de prix de transfert retenu par l’entreprise et aux cessions d’actifs au sein d’un même groupe. Nous ne pouvons que déplorer que cet amendement ait été supprimé lors de la CMP de jeudi dernier. Il constituait aux yeux de beaucoup une réelle plus-value sur le texte, et la marque d’une volonté forte d’avancer sur les questions de transparence. Ce retrait est un échec incompréhensible.

Cette CMP fut à nouveau l’occasion d’un débat intense sur le fameux dispositif dit du « verrou de Bercy ». Rappelons à ce stade que M. le Ministre de l’Action et des comptes publics déclarait d’emblée il y a quelques mois qu’il ne voulait pas entendre parler de suppression du « verrou de Bercy », mais bien d’aménagement.

Ce débat eut lieu au Sénat au printemps, sans réel succès, puis en juillet à l’Assemblée nationale. La lumière jaillit soudain, un nouvel amendement accepté par le gouvernement allait être adopté et enfin supprimer le fameux « verrou de Bercy ». Il y a eu depuis une communication intense du gouvernement sur le sujet, reconnaissons volontiers que cette communication fut d’une efficacité redoutable auprès de l’opinion publique.

Il nous faut à ce stade y regarder d’un peu plus près. Oui, le verrou est desserré, mais il n’est pas supprimé complètement. Avec cet amendement, le fisc sera obligé de transmettre les dossiers les plus graves à la justice, selon des critères gravés dans la loi. Il s’agit des cas où le montant fraudé est supérieur à 100 000 euros, si les pénalités sont de 80% ou 100%, mais aussi des cas de pénalités de 40% s’il y a récidive. Mais pour tous les autres dossiers, le « verrou de Bercy » demeure.

Le nombre de dossiers fiscaux qui seront transmis de façon automatique à la justice pourrait doubler, passant d’un millier aujourd’hui à environ 2000 demain. C’est oublier le nombre de 4000 dossiers considérés par l’administration comme constituant une fraude grave. Ces avancées sont à prendre en compte, mais elles sont notoirement insuffisantes, timides, disent de nombreux observateurs.
Nous prenons en compte la création de sanctions pour les intermédiaires dans ce texte. Effectivement, on ne peut jamais s’évader sans un peu d’aide. Cette proposition figurait dans les rapports des commissions d’enquête.

Nous prenons en compte également la clarification vis-à-vis des plateformes de l’économie collaborative.
Nous restons donc très nettement sur notre faim. Le compte n’y est pas, le déroulement de la CMP a été particulièrement éclairant et a permis de jauger les intentions dans leur réalité. Aussi, au terme de ce débat parlementaire, nous ne pouvons nous associer aux conclusions de la commission, nous émettrons un vote négatif.

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