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Expression à la tribune

Règlement du budget et approbation des comptes 2018 : pour Eric Bocquet, c’est non

Ce jeudi 11 juillet 2019, le Sénat procédait à l’analyse du Projet de loi "Règlement du budget et approbation des comptes de l’année 2018". A cette occasion, Eric Bocquet, au nom du groupe CRCE au Sénat, s’est exprimé pour indiquer qu’il ne voterait pas ce projet de loi.

Monsieur le président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

L’examen de la loi de règlement pour les comptes de 2018 n’est pas, qu’un exercice technique consistant à vérifier la bonne exécution du budget de l’année antérieure, c’est surtout, selon nous, l’occasion de jauger l’efficacité et la pertinence des choix budgétaires faits par votre gouvernement, M. le Ministre. Dans le temps de 6 minutes qui m’est imparti, je ne rentrerai pas dans le détail des recettes et des dépenses de cette loi de Finances 2018. Je me bornerai donc à évoquer quelques faits et constats saillants de cet exercice.

Je souhaiterais d’abord revenir sur cette suppression de l’ISF, décision idéologique très emblématique de ce gouvernement, l’un des arguments justifiant ce choix était de dire que la France était le seul Etat du monde à l’appliquer, or curieusement, ce débat a lieu aux Etats-Unis en ce moment même où l’on entend Bill Gates, numéro deux des fortunes du monde, déclarer ceci : « Le système fiscal pourrait prélever beaucoup plus sur les grandes fortunes », explique le fondateur de Microsoft dans un show télévisé américain en février dernier. Il est évidemment un peu tôt pour évaluer les effets de ce choix, mais il est d’ores et déjà possible de relever quelques indications. Deux sondages auprès d’anciens redevables de l’ISF confirment que l’élan vertueux espéré au service de l’économie productive se fait attendre. Ils nous répondent en avoir profité pour consommer plus en voyages ou achats d’œuvres d’art, ils sont bien moins nombreux à mentionner les avoirs placés dans des entreprises.

Très grande sécheresse du côté du ruissellement escompté. Un économiste du MIT de Boston, évaluant les effets de la suppression des impôts sur la fortune dans d’autres pays, le Danemark depuis 1996, l’Allemagne depuis 1997, la Suède depuis 2007, déclare : « Il n’y a aucune démonstration d’un effet visible et traçable sur l’économie ».

Quelque chose me dit que le débat sur ce sujet n’est pas définitivement enterré, M. le Ministre !

Une loi de finances, un budget, sont les outils indispensables pour garantir à chacun de nos concitoyens l’accès aux droits fondamentaux, un outil aussi pour atténuer les inégalités criantes dont notre société est marquée, créant une situation d’injustice sociale qui a été pointée de manière spectaculaire depuis novembre dernier sur nos ronds-points et les rues de nos villes ; et pourtant, la pauvreté sévit dans notre pays et les inégalités s’y aggravent, citons ici les constats établis dans le dernier rapport de l’Observatoire des Inégalités, en moyenne, les 10% de Français les plus aisés perçoivent des revenus 8,7 supérieurs à ceux des 10% les plus pauvres après impôts et prestations sociales. Notre pays est, après la Suisse, excusez du peu, le pays d’Europe où les riches sont les plus riches. En bas de l’échelle, 5 millions de personnes pauvres vivent avec moins de 855 euros par mois. Franchement, ce n’est pas la prime d’activité, concédée au mouvement social qui va résorber ces écarts.

Un mot à ce stade sur notre choix de mise en place de prélèvement forfaitaire unique, le bien nommé « flat tax », cette décision a été l’un des piliers de la politique du gouvernement, le PFU de 30% sur les revenus du capital n’a pas pesé sur le budget en raison d’une envolée des dividendes distribués en 2018, de ce pays, notre pays est champion d’Europe ! L’augmentation du chiffre de versement des dividendes a atteint 24, 34% en un an, 37,11 milliards d’euros, à l’évidence les entreprises ont décidé de verser davantage de dividendes pour profiter d’une aubaine fiscale, de fait, notre gouvernement a subventionné le transfert des richesses vers les classes les plus élevées de la population. Vous appliquez ce vieil adage libéral : « Trop d’impôts tue l’impôt », l’idée étant qu’un taux d’imposition bas peut rapporter au moins autant qu’un taux important, dans la mesure où la pression fiscale a des effets désincitatifs sur l’activité : c’est la fameuse courbe de LAFFER, chère aux spécialistes.

Cette théorie n’a jamais fait la preuve de sa pertinence, les nombreuses expériences de baisses d’impôts aux Etats-Unis, comme ailleurs, en France notamment, ne se sont jamais traduites par une augmentation des recettes fiscales, bien au contraire. Elles ont davantage contribué à dégrader les comptes publics, sans compter l’effet des niches fiscales qui permettent aux plus riches d’échapper à l’impôt. M. le Ministre, les baisses d’impôts et de cotisations ont un revers, elles affaiblissent le système de redistribution et mettent la pression sur le budget de l’Etat.

Au titre du bilan de l’année 2018, il conviendra aussi d’ajouter au passif des recettes, la diminution des recettes du contrôle fiscal pour la troisième année consécutive. Les sommes notifiées par le fisc ont effectivement chuté, passant de 17,9 milliards d’euros en 2017 à 15,2 milliards en 2018. On apprend également dans un article des Echos du 20 juin dernier, que le fisc a abandonné un redressement de 1,4 milliard d’euros de Vivendi.

La lutte contre la fraude fiscale ne fut pas évoquée un seul instant dans le discours de politique générale de M. le Premier Ministre prononcé ici même à cette tribune. Ce silence ne manque pas d’interroger sur la volonté de ce gouvernement de s’attaquer de la plus forte des manières à ce scandale de notre temps. L’idée de création de l’Observatoire de la Fraude Fiscale garde toute sa pertinence, faisons en sorte qu’elle ne disparaisse pas dans les limbes du renoncement et des influences.

Ces résultats budgétaires ne sont pour nous aucune surprise. Ils sont la résultante mécanique des choix budgétaires et fiscaux que nous avions combattus lors du débat sur la loi de Finances 2018. Ils ne prennent pas en compte la réalité économique et sociale de notre pays.

Je citerai pour conclure M. J-M. Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’Etat, dans une interview récente : « Il faut aussi avoir une vision claire du rôle de l’Etat dans la période actuelle de globalisation économique, de défis environnementaux et de fracturation de nos sociétés. Face à ces enjeux, l’Etat n’a jamais été autant concurrencé, subordonné, fragmenté, banalisé et paupérisé. Et pourtant il reste ce qui fait que la société tient debout et ensemble, c’est le socle sur lequel la Nation s’est construite, dans un monde où les souverainetés sont battues en brèche par des entreprises multinationales qui se jouent des frontières ». (fin de citation). En conclusion, M. Sauvé nous dit : « L’Etat a été victime de la doxa libérale ».

Cette doxa, M. le Ministre, nous ne la partageons pas, et c’est donc fort logiquement que le groupe CRCE votera contre la loi de règlement 2018.

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