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Dans l’Humanité, Eric Bocquet considère qu’il n’y a pas de fatalité à vivre dans la dette

Interrogé par Diego Chauvet dans l’Humanité du 27 mai 2020, Eric Bocquet a été invité à s’exprimer sur la dette des Etats, particulièrement dans les suites de la crise économique liée au Covid-19.

L’article de l’Humanité est à retrouver ici.

Pour le sénateur Éric Bocquet, « la Banque centrale européenne s’est affranchie des règles lui interdisant de financer les États ». Tim Wegner/LAIF-REA

L’élu communiste du Nord, vice-président de la commission des Finances du Sénat, dénonce le processus qui a conduit à la mise sous tutelle des États par les marchés financiers. Il considère qu’il n’y a pas de fatalité à vivre dans la dette si l’on change complètement les règles du jeu. Entretien.

La question de la dette est au centre du débat public depuis bien longtemps. Quelles sont vos craintes avec la crise qui vient ?

Éric Bocquet L’explosion de la dette risque d’être utilisée à nouveau comme argument renforcé pour imposer aux Français des réductions des dépenses publiques et des casses des services publics. C’était déjà la règle depuis plusieurs décennies. Depuis 1975, le budget de la France est en déficit. C’est au nom de la dette que l’on impose l’austérité et la réduction des dépenses publiques. On l’annonce à 115 % du produit intérieur brut (PIB) après la crise sanitaire, alors qu’elle était à 99 % il y a un an.

La dette, c’est de l’argent que l’on doit. Comment répondez-vous à cet argument martelé par les néolibéraux ?

Éric Bocquet C’est toute la perversion du discours. Pour un ménage, il faut payer ses dettes et prendre toutes les dispositions pour être en capacité de rembourser. Pour un État, la logique n’est pas la même. On nous fait croire depuis des années que la dette publique serait due à un excès de dépenses publiques. Or, si on examine l’histoire et la construction de cette dette, on constate qu’il y a plein d’autres paramètres. D’abord, l’abaissement délibéré des recettes fiscales de l’État. Nous l’avons organisé, par exemple en supprimant l’ISF. Nous avons évité de mener comme il le faudrait la bataille contre l’évasion fiscale qui, je le rappelle, coûte entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année au budget de la République. Nous avons créé des crédits d’impôts, comme le Cice qui a coûté des dizaines de milliards d’euros. Les 400 niches fiscales, dont certaines sont justifiées et d’autres pas, coûtent 80 milliards d’euros par an. Tous ces cadeaux accumulés ont fait que l’État a vu ses recettes fondre comme neige au soleil. L’affaiblissement a été tel que ce sont les marchés financiers qui financent les États aujourd’hui. Ils leur dictent les politiques à mener grâce à la dette. Aujourd’hui, la Banque centrale européenne (BCE) s’est affranchie des règles lui interdisant de financer les États. Elle vient de racheter des titres de dette de tous les pays de l’Union européenne. Quand il y a le feu à la maison, toutes ces règles néolibérales inscrites dans le marbre volent en éclats. C’est donc une décision politique, un choix de société.

Avec la crise, la question de l’effacement de la dette revient également dans le débat politique. Comment cela serait-il possible ?

Éric Bocquet Lorsque la BCE prête de l’argent, elle le crée. Ses deux missions principales sont de veiller à ce qu’il n’y ait pas trop d’inflation dans la zone euro et l’impression des billets de banque. Mais les banques privées pouvant elles-mêmes prêter de l’argent en créant des lignes de crédit, nous avons en réalité privatisé la création de monnaie. La BCE a commencé à y remédier, mais elle doit aller plus loin : reprendre dans son bilan tous les titres de dette publique et les effacer, ou les étaler dans la durée. Nous pouvons étaler la dette sur trente ou quarante ans. Compte tenu des défis que va poser la crise que nous vivons, il faut des mesures innovantes, presque révolutionnaires. En somme, s’affranchir des traités européens, revoir les règles du jeu. La dette de la France, en 1945, était de 200 % du PIB. Avec la croissance, des investissements, de bons salaires, en construisant un état protecteur, nous en étions venus à bout. Il n’y a pas de fatalité. Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans la dette pour l’éternité.

Entretien réalisé par Diego Chauvet

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