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"Nous pourrions porter collectivement l’idée d’une « COP fiscale » mondiale pour enfin remettre la finance au seul service de l’intérêt général"

Eric Bocquet interviewé par l’Humanité sur la taxation des multinationales

Dans un article intitulé "Une mesure de justice fiscale. Taxation des multinationales : les efforts sont-ils à la hauteur ?", paru le 22 juin 2021, le journal L’Humanité interroge trois personnalités sur l’annonce faite par l’administration américaine Biden, puis validée par le G7 de la mise en place d’une taxation à hauteur de 15 % sur les multinationales.

Eric Bocquet a répondu à cette interview, que vous pouvez découvrir dans son intégralité sur le site de L’Humanité.

Le quotidien a également interrogé Manon Aubry, Députée FI au Parlement européen, Stéphane Séjourné, Député LaREM au Parlement européen, et Raphaël Pradeau et Vincent Drezet, respectivement Porte-parole d’Attac et Membre du conseil d’administration d’Attac.

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Face aux insuffisances, nous devons pousser

« Autant le dire d’emblée, nous sommes contraints de répondre par la négative à cette question. L’annonce faite par la nouvelle administration américaine de taxer les multinationales à un taux minimal de 21 % n’aura duré que quelques semaines. En effet, avant même la rencontre des ministres des Finances du G7 de début juin, ce taux était déjà ramené à 15 %, un taux notoirement insuffisant selon plusieurs spécialistes du sujet et d’ONG. Au sein de l’OCDE, qui regroupe 37 États, seuls trois pays affichent un taux d’impôt société inférieur à ce chiffre, l’Irlande avec 12,5 %, la Hongrie avec 9 % et la Suisse avec 8,5 %. Avec un taux de 15 %, la France récupérerait 4,3 milliards d’euros, contre 26 milliards avec un taux de 21 %.
Au-delà du taux, ce sont même les modalités d’application de la mesure qui sont à la fois complexes et limitées dans leurs effets. L’accord prévoit en fait que la nouvelle taxe s’appliquerait aux seules entreprises dont la marge bénéficiaire dépasserait les 10 % ; de plus elle concernerait 20 % des bénéfices dépassant ce seuil de 10 % de marge.

À titre d’exemple, un grand quotidien économique français indiquait dans un article récent que le géant Amazon pourrait échapper à la réforme de l’impôt mondial. En effet, sa marge bénéficiaire en 2020 s’établissait à 6,3 %… Incroyable quand on sait que le bénéfice net du groupe a plus que triplé à 8,1 milliards de dollars pour la période de janvier à mars, le chiffre d’affaires atteignant 108,5 milliards. Tout cela illustre parfaitement l’idée que notre système fiscal est aujourd’hui inadapté et aisément contourné par les pratiques d’évitement de l’impôt des grands groupes.

De plus, dans les insuffisances qu’il nous faut ici évoquer, il y a l’hypocrisie à l’œuvre au sein de l’Union européenne elle-même. L’Union européenne (UE) est incontestablement la zone du monde où la concurrence fiscale est la plus forte. Nous avons évoqué l’Irlande, où l’impôt société est à 12,5 % théoriquement, mais le groupe Apple a effectivement payé un impôt société à 0,005 % ! La guerre fiscale fait rage.

Après l’accord du G7, il faudra passer le palier du G20. Au sein de l’Union européenne, on le sait, c’est la règle de l’unanimité qui s’applique sur les décisions en matière fiscale. Quelle sera l’attitude des États membres que sont les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre ou encore Malte ? Nous avons déjà entendu le ministre des Finances de la République d’Irlande, Paschal Donohoe, déclarer que son pays pourrait perdre jusqu’à 20 % de son impôt société avec l’application de cet accord.

Enfin, et ce sera la cerise sur le gâteau, nous avons appris que les États-Unis n’ont pas signé l’instrument multilatéral établi à l’occasion du G7 finances. Joe Biden devra aussi composer avec un Congrès où les républicains détiennent 50 % des sièges. Et puis, il y a toute l’ambiguïté des États-Unis, dont la législation fiscale invite les entreprises américaines à localiser leurs bénéfices dans des pays à fiscalité privilégiée (c’est-à-dire des paradis fiscaux) et ne taxe pas leurs profits tant qu’ils ne sont pas rapatriés aux États-Unis.

La porte s’est entrouverte, le chemin est encore long, mais c’est le bon. Nous devons tous pousser ! Je suis convaincu que cette question devra être au cœur du débat de la prochaine élection présidentielle. L’opinion, à raison, ne supporte plus le décalage entre les annonces tonitruantes et les renoncements politiques des États. Nous pourrions porter collectivement l’idée d’une « COP fiscale » mondiale pour enfin remettre la finance au seul service de l’intérêt général. »

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