Publications

Sortie le 9 septembre du nouveau livre des frères Bocquet

Alain et Eric Bocquet lancent une traque aux fraudeurs dans "Milliards en fuite"

Lors d’une conférence de presse au Sénat le mercredi 1er septembre, Alain et Eric Bocquet, accompagné par leur co-auteur Pierre Gaumeton, ont présenté leur nouvel ouvrage, "Milliards en fuite", qui donne, 5 ans après la parution de " Sans Domicile Fisc" des pistes de travail pour s’attaquer non seulement à la fraude et à l’évasion fiscales, mais aussi aux dérives et abus de la finance mondiale.

Après le bilan, vient le temps de l’action.

C’est dans cet état d’esprit que les trois acolytes ont repris la plume. Alain Bocquet, député honoraire, Eric Bocquet, Sénateur du Nord et Pierre Gaumeton, journaliste, ont décidé de donner une suite à "Sans domicile fisc", leur premier ouvrage qui dressait le bilan de la fraude et l’évasion fiscales mondiales. Le livre dresse le constat d’une planète financière totalement déconnectée de l’économie réelle. La pandémie a accentué les inégalités, plongeant les plus pauvres dans de plus grandes difficultés encore alors que les grandes fortunes continuent de croître de façon indécente.

5 ans et 10 000 personnes rencontrées plus tard, ils ont aussi souhaité apporter des éléments de réponse et des pistes de travail pour donner suite à la question persistante du public : qu’est-ce qu’on peut faire ? Quelles sont les solutions ?

Pour combattre cette financiarisation de l’économie, les auteurs proposent dix pistes de travail, parmi lesquelles une COP en faveur d’une fiscalité mondiale et une organisation mondiale de la finance placée sous l’égide de l’ONU. Ils s’attaquent également à l’épineuse question de la dette qui sert de prétexte à de nombreux reculs sociaux sur les droits des chômeurs ou les réformes régressives des retraites. Près du quart de la dette de la France, soit 600 milliards d’euros, a déjà été racheté par la BCE et peut être annulée.

Toutes ces idées, qui ne sont pas uniquement celles des auteurs mais sont partagées par de nombreux économistes dans le monde, ne pourront éclore que si les peuples s’en emparent et les imposent aux dirigeants du monde qui manquent notoirement de courage politique pour affronter le monde de la finance.

Revue de Presse :

Suite à la conférence de presse, de nombreux journaux et sites ont publié des articles au sujet de ce deuxième ouvrage, que vous pouvez découvrir ci-dessous.

L’Humanité, le 2 septembre 2021

Économie. Les frères Bocquet s’attaquent à la finance

Dans un nouveau livre, Milliards en fuite !, les deux élus PCF, Éric et Alain Bocquet, avancent dix pistes pour en finir avec les ravages de « l’industrie financière ».

Deux frères et maintenant deux livres. Après le succès de Sans domicile fisc, Éric et Alain ­Bocquet, respectivement sénateur PCF du Nord et maire de Saint-Amand-les-Eaux, remettent le couvert avec Milliards en fuite ! Manifeste pour une finance éthique (le Cherche-Midi, 17 euros), à paraître le 9 septembre. Dans ce nouvel opus, les deux Nordistes dépassent leur domaine de prédilection, l’évasion fiscale, pour non seulement dénoncer les excès de « ­ l’industrie financière », mais aussi exposer dix pistes pour la mettre au pas. Ce nouvel ouvrage est né, en partie, grâce à son prédécesseur, qui a amené les deux frères à rencontrer pas moins de 10 000 personnes, allant « de l’évêque au franc-maçon », a raconté Alain Bocquet, mercredi, lors d’une conférence de presse. La crise sanitaire n’y est pas non plus étrangère. Car, selon la fratrie, « tandis que la fortune des milliardaires augmentait de 27,5 % au printemps 2020, une estimation de l’augmentation au cours de l’année de l’extrême pauvreté mondiale la chiffrait à 7 % ».

Des peines de prison effectives pour les délinquants en col blanc
Et face à la doxa libérale, les deux élus du PCF mettent sur la table du concret. Sur la dette d’abord. En prenant à contre-pied un Thierry Breton qui estime que « toutes les dettes sont faites pour être payées », les Nordistes appellent à l’ouverture d’un débat sur son remboursement. « Nombre d’économistes et de responsables politiques dont nous sommes avancent l’idée d’une annulation pure et simple de la dette publique détenue par la Banque centrale européenne », écrivent-ils. Il faut dire que, pendant le « quoi qu’il en coûte », les règles européennes sur les déficits des États ont explosé en plein vol. Pour la France, « l’addition s’est alourdie de 250 milliards. Ils viennent s’ajouter dans les comptes de la maison France aux 2 700 milliards dus au 31 décembre 2020 », détaillent les Bocquet, frôlant ainsi un taux d’endettement de 120 %.

Mais c’est bien entendu sur l’évasion fiscale que les pistes sont les plus saillantes. En plus de la COP fiscale, proposition émise dès 2016 et depuis relayée par nombre d’ONG, les frères Bocquet plaident pour la fondation d’un « ­organisme mondial de la finance ». « L’institution spécialisée sera placée sous l’égide de l’ONU en liant sa création à la disparition du FMI et de la Banque mondiale », expliquent-ils. Ils reprennent aussi à leur compte l’idée de l’économiste Gabriel Zucman, d’un cadastre financier, « outil d’une véritable transparence fiscale ».

« C’est le moment de tout remettre à plat », analyse Alain Bocquet qui s’attaque, avec son frère, au complexe sujet des mafias et du blanchiment d’argent. « On estime que le trafic de drogue à l’échelle de la planète pourrait représenter 250 à 500 milliards de dollars. Ce volume d’échanges place donc le trafic comme équivalent au PIB d’un pays entre celui classé à la 25e place, l’Argentine, et celui classé à la 41e place, le Chili », ­démontrent-ils. Les deux communistes dénoncent également le rôle des nouvelles technologies dans ce domaine : « La carte “prépayée” en bas de l’échelle et le bitcoin ou autres cryptos pour les barons au sommet, ainsi la boucle du secret est bouclée. Ni vu ni connu de bout en bout. » Prenant la mesure du problème, les Nordistes proposent toute une série de mesures, allant de la suspension des licences d’activités bancaires aux amendes personnalisées, en passant par des peines de prison effectives. Une dernière proposition reprise aussi pour les délinquants en col blanc. « Quand je vois que Jérôme Cahuzac n’a, au final, passé que deux ans avec un bracelet en Corse, je me dis qu’à sa place j’aurais eu le temps d’écrire un troisième livre », glisse au passage Alain Bocquet.


La Voix du Nord, le 2 septembre 2021

Finance débridée, profits colossaux, évasion fiscale... Les frères Bocquet poursuivent la lutte

Déjà auteurs de « Sans domicile fisc », pamphlet contre la fraude et l’évasion fiscales, les frères Alain et Éric Bocquet récidivent. Dans « Milliards en fuite ! », le duo d’élus communistes du Nord dézingue la finance débridée, les profiteurs de la crise sanitaire et ceux qui les aident, et dressent la liste des actions urgentes à mener.

Par Julien Lécuyer

Si la colère des frères Bocquet était cotée en bourse, l’action aurait autant grimpé que les valeurs des GAFA depuis un an. Éric, le sénateur du Nord, et Alain, le maire de Saint-Amand-les-Eaux, fulminent toujours contre la spéculation financière, le blanchiment, l’évasion et la fraude fiscales qui « prospèrent plus que jamais ».

Dans Sans domicile fisc déjà, paru en 2016, les deux auteurs exploraient les rouages de la finance débridée, qui coûterait à la France entre 60 et 80 milliards d’euros par an.

« On constate qu’après une année de pandémie et l’arrêt de l’économie pendant des mois, la finance exubérante continue de prospérer, ce qui prouve sa déconnexion avec l’économie réelle »

Rien n’a changé depuis cinq ans, accusent-ils dans Milliards en fuite !, à paraître le 9 septembre. Ce serait même pire, à les entendre au Sénat, ce mercredi matin. « On constate qu’après une année de pandémie et l’arrêt de l’économie pendant des mois, la finance exubérante continue de prospérer, ce qui prouve sa déconnexion avec l’économie réelle », regrette le sénateur Éric Bocquet.

Pendant que, écrivent-ils, « de la City à Singapour, des Bahamas au Luxembourg, les dealers de la finance accumulent dollars, euros, yen, yuans, bitcoins », « la pandémie a creusé les inégalités (…). Les multinationales optimisent ; les GAFAM se gobergent ».

Pour preuve, les profits enregistrés par les « big pharma » ou par le patron d’Amazon Jeff Bezos, si colossaux que « s’il avait offert 30 actions de son groupe à chacun de ses 876 000 salariés, ceux-ci auraient bénéficié d’un pactole en bourse de plus de 100 000 dollars chacun », sans que sa propre fortune n’en soit réduite par rapport à la période pré-pandémie.

Un État qui pactise
Plutôt que de lutter, l’État français pactiserait, selon eux. « Google en 2019 a fait un chèque de 900 millions pour éviter les poursuites, alors qu’il devait 7 milliards (…). Et aujourd’hui, il va aider à traquer les piscines pour le fisc. C’est incroyable ! », s’enflamme Éric Bocquet.

Si la colère des frères Bocquet était cotée en bourse, l’action aurait autant grimpé que les valeurs des GAFA depuis un an. Éric, le sénateur du Nord, et Alain, le maire de Saint-Amand-les-Eaux, fulminent toujours contre la spéculation financière, le blanchiment, l’évasion et la fraude fiscales qui « prospèrent plus que jamais ».

Dans Sans domicile fisc déjà, paru en 2016, les deux auteurs exploraient les rouages de la finance débridée, qui coûterait à la France entre 60 et 80 milliards d’euros par an.

« On constate qu’après une année de pandémie et l’arrêt de l’économie pendant des mois, la finance exubérante continue de prospérer, ce qui prouve sa déconnexion avec l’économie réelle »
Rien n’a changé depuis cinq ans, accusent-ils dans Milliards en fuite !, à paraître le 9 septembre. Ce serait même pire, à les entendre au Sénat, ce mercredi matin. « On constate qu’après une année de pandémie et l’arrêt de l’économie pendant des mois, la finance exubérante continue de prospérer, ce qui prouve sa déconnexion avec l’économie réelle », regrette le sénateur Éric Bocquet.

Pendant que, écrivent-ils, « de la City à Singapour, des Bahamas au Luxembourg, les dealers de la finance accumulent dollars, euros, yen, yuans, bitcoins », « la pandémie a creusé les inégalités (…). Les multinationales optimisent ; les GAFAM se gobergent ».

Pour preuve, les profits enregistrés par les « big pharma » ou par le patron d’Amazon Jeff Bezos, si colossaux que « s’il avait offert 30 actions de son groupe à chacun de ses 876 000 salariés, ceux-ci auraient bénéficié d’un pactole en bourse de plus de 100 000 dollars chacun », sans que sa propre fortune n’en soit réduite par rapport à la période pré-pandémie.

Un État qui pactise
Plutôt que de lutter, l’État français pactiserait, selon eux. « Google en 2019 a fait un chèque de 900 millions pour éviter les poursuites, alors qu’il devait 7 milliards (…). Et aujourd’hui, il va aider à traquer les piscines pour le fisc. C’est incroyable ! », s’enflamme Éric Bocquet.

À ce qu’ils qualifient d’avidité indécente, qu’aucune juste taxe ne vient altérer, s’ajoute une fuite inexorable des capitaux vers les paradis fiscaux. Or, « cette course au moins-disant fiscal, phénomène mondial, a des conséquences sur la vie des citoyens », jugent-ils. Ce trou dans les caisses des États oblige à gonfler la dette. En France, « elle a augmenté de 300 milliards. On voit poindre dans les propos que la facture va nous être adressée », avertit Éric Bocquet.

« Remettre la finance au service de l’intérêt général »

Nulle surprise d’entendre les éminents élus du PCF fustiger les réformes de l’assurance chômage et des retraites. Ils y adjoignent dix pistes de réflexion pour « remettre la finance au service de l’intérêt général » : la création d’une Organisation mondiale de la finance pour fixer les règles communes d’une finance éthique, la taxation des transactions boursières.

Il faut, disent-ils, alourdir les peines à l’encontre des banques et de leurs dirigeants qui se seraient rendus complices du blanchiment d’argent, supprimer les cartes prépayées qui le favorisent. Le rôle de la Banque centrale européenne doit être revu, ajoutent-ils, pour autoriser les prêts directs aux États.

« c’est le moment de tout remettre à plat en donnant voix au chapitre à ceux qui créent les richesses. »

Au niveau national, les frères Bocquet préconisent l’encadrement voire l’interdiction du « pantouflage » et la constitution d’un pôle public financier « dont l’objectif serait d’orienter l’argent vers des investissements utiles à la société, aux services publics ».

Bref, conclut Alain Bocquet, « c’est le moment de tout remettre à plat en donnant voix au chapitre à ceux qui créent les richesses. On est comme poule devant un couteau. Il faut que l’œuf tombe ».


Public Sénat, le 6 septembre 2021

« L’impunité fiscale on en parle souvent, mais il n’y a pas un fraudeur fiscal en prison »

Après Sans-domicile fisc, Éric Bocquet, sénateur communiste du Nord et son frère, Alain Bocquet, ancien député, sortent avec le journaliste Pierre Gaumeton un nouveau livre intitulé Milliards en fuite, aux éditions Le cherche midi. Ils y reviennent, comme dans leur précédent ouvrage, sur la lutte contre l’évasion fiscale, mais aussi plus largement sur le fonctionnement du système financier mondial et européen et l’impact récent de la crise sanitaire. Éric Bocquet revient sur les « pistes » pour mettre en place une « finance éthique ».

Par Louis Mollier-Sabet

Vous commencez votre livre par un chapitre sur la crise Covid. Vous expliquez justement que ce n’est une crise que pour certains (« certains sont touchés, d’autres touchent »). Alors, la situation dans les paradis fiscaux et les marchés financiers s’est-elle dégradée depuis un an et demi ?

Tout ça n’a pas changé, la crise sanitaire est simplement une illustration de plus que tout cela continue. Les beaux discours du printemps dernier sur le « monde d’après » ont mal vieilli. Je lisais ce matin dans Le Monde que les banques européennes localisaient 25 % de leurs bénéfices dans des paradis fiscaux… Mais la crise sanitaire est ce qui nous a amené à produire ce livre. Nous en avions l’idée depuis un moment, mais ça s’est accéléré ces derniers moi. Mais sur le fond, rien n’a changé.

Avec les plans de relance et le quoiqu’il en coûte, le gouvernement a complètement fait voler les contraintes budgétaires. Est-ce que cette politique économique là est suffisante pour parler d’un « retour d’un État volontaire », comme vous le faites dans votre livre ?

Ce retour d’un État-providence et d’un État volontaire fait partie des constats qu’on a pu faire. Avec la crise sanitaire, il a bien fallu un État qui soit en capacité d’emprunter. Même si on nous raconte qu’il ne faut pas inquiéter les marchés financiers, je constate que quand l’État s’endette, ils ne sont en fait pas du tout inquiets. On nous prête même à taux négatif ! Je suis toujours par saisi par ce paradoxe hallucinant et je le pointe régulièrement quand on auditionne la Cour des comptes, la Banque de France ou les ministres qui tiennent un discours très alarmiste. Alors que la confiance des marchés financiers se traduit même par des taux négatifs : on leur remboursera moins que ce qu’on leur a emprunté, je ne vois pas comment on peut dire qu’ils n’ont pas confiance. L’injection d’argent public dans l’économie avec l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) n’a finalement servi qu’en partie à l’économie réelle. Il y a un vrai sujet sur le financement de la dette et cette pandémie l’a illustré quand la relance a surtout servi à gonfler les marchés financiers.

La crise sanitaire a eu un impact budgétaire important. Bruno Le Maire appelle à la fin du « quoi qu’il en coûte » face à l’augmentation du déficit budgétaire. Dans votre livre vous défendez une proposition alternative, une annulation partielle de la dette détenue par la BCE tout en attirant l’attention sur la dette privée.

L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE une option, mais on ne tranche pas sur le sujet. Ce débat n’est pas inintéressant du tout. Ça s’est fait dans l’histoire, l’Allemagne en a bénéficié en 1953. Aujourd’hui la BCE, dont le mandat n’est pas de financer les États – l’article 223 du traité de Lisbonne lui interdit – les finance de fait. Elle détient même plus de 50 % des dettes des États de la zone euro (plus de 3000 milliards sur plus de 6000 milliards de créances au total). La BCE s’est clairement affranchie de ses propres règles, donc profitons du fait que tous les peuples européens sont confrontés à cette situation historique pour réfléchir à un nouveau mandat de la BCE. Quand je vois le rôle qu’a pris la Fed ou la banque d’Angleterre en finançant directement les choix de leurs gouvernements par leurs monnaies, je me dis qu’il y a une nécessité d’un nouveau mode de financement des États [européens], qui ont perdu leur souveraineté. Les Japonais ont une dette deux fois supérieure à la nôtre (à hauteur de 240 % du PIB), la différence est qu’elle est détenue par des institutions publiques japonaises, voire des particuliers.

Dans notre monde d’après on met cette option-là en débat et il faut que le débat monte. La dette a été érigée en dogme absolu, mais tout cela a volé en éclat sans que l’on change les traités. « Politiques d’assouplissement quantitatif » … tout cela est du jargon pour dire qu’on outrepasse les règles des traités. Quand il y a le feu dans la maison – et là on est dans une situation d’urgence – il faut poser cette question du financement des États, qui est une question éminemment politique.

Et sur la dette privée, les prêts garantis par l’État vont arriver à échéance en 2022, n’est-ce pas un sujet tout aussi politique ?

C’est un sujet que l’on n’évoque dans le livre, mais pas suffisamment à mon avis. La dette privée est supérieure à la dette publique. J’entends certains entrepreneurs s’inquiéter en voyant l’échéance du remboursement arriver et on peut le comprendre. Bruno Le Maire évoque une annulation pure et simple de ces crédits, mais cela tombera alors dans le panier de la dette publique. Et derrière on entend la musique qui dit que la dette, il faut la payer. Cela va revenir très fort avec la loi de finances que nous examinerons bientôt. La dette va être la clé de voûte de cet exercice budgétaire, comme toutes ces dernières années. Cela va être la justification de réduire les moyens des services publics alors qu’on en a cruellement besoin, la crise sanitaire l’a prouvé. Sur la dette publique comme sur la dette privée, il faut arrêter de culpabiliser et dramatiser les choses, c’est un choix politique. Si on avait ciblé le financement de la dette sur l’écologie et les inégalités cela aurait eu un effet certain, un peu comme Biden le fait. Moins de 2 % des transactions financières dans le monde ont un lien avec l’économie réelle, le chemin est encore long.

Précisément, vous proposez ensuite dans votre livre 10 « pistes » pour une finance citoyenne. Vous évoquez d’abord plusieurs mécanismes multilatéraux pour réformer la finance au niveau mondial (COP fiscale, organisation mondiale de la finance). On a récemment vu le G7 s’engager sur un impôt mondial de 15 % sur les bénéfices, vous parlez vous-même dans l’avant-propos de votre livre de l’arrivée d’un Biden poussé par Sanders sur sa gauche au pouvoir. Est-ce que les choses ne bougent pas au niveau mondial ?

Cela bouge un peu, mais à la vitesse des chars à bœufs alors qu’il faudrait y aller à la vitesse du TGV. On est à un tournant historique. On propose la création d’une Organisation mondiale de la finance sous l’égide de l’ONU et plus des financiers eux-mêmes, comme c’est le cas des instances mondiales de régulation de la finance actuellement. La finance, ce n’est pas l’affaire du G7 ou de l’OCDE – qui fait un certain travail – mais il y a 200 pays dans le monde. C’est un sujet hautement politique, ce n’est pas qu’une affaire d’expert. Il faut associer les ONG, les syndicats, les citoyens, les parlements de tous les pays du monde. Comme on peut le faire pour la santé avec l’Organisation mondiale de la Santé et pour le commerce avec l’Organisation mondiale du commerce, il faut donc créer une OMF, Organisation mondiale de la finance. Il faut que l’argent ne soit plus le nerf de la guerre, mais nerf de la paix

L’Observatoire européen de la fiscalité a sorti aujourd’hui une étude qui montre que les banques européennes placent 25 % de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, une proportion stable depuis 2014. L’étude calcule un « déficit fiscal » qui permet de chiffrer le manque à gagner pour les États par rapport à une situation où les banques étaient effectivement soumises à un taux d’imposition minimum dans chaque pays. La France fait partie des pays qui a le déficit fiscal le plus important (340 millions d’euros par an). Comment peut-elle « assécher les paradis fiscaux » et récupérer ce manque à gagner ?

Je vais interpeller Bercy à ce sujet, comme je l’avais fait pour OpenLux en février dernier. Le problème c’est que l’on n’a pas fait grand-chose là-dessus à Bercy, alors qu’on parle de paradis fiscaux au cœur de l’Europe. En 2013 la BCE avait coupé tous les transferts vers Chypre pour sanctionner des oligarques russes. Une instance comme ça peut donc agir mais il faut désigner l’adversaire. Tant que l’Union Européenne (UE) ne reconnaît pas ses adversaires en son sein on n’avancera pas. On connaît cette liste : les Pays-Bas, le Luxembourg l’Irlande ou Malte avec qui on a certains problèmes. On en revient à l’échelon européen, mais la France doit avoir un rôle moteur. Elle aura bientôt la présidence de l’UE en pleine campagne présidentielle. Il faut agir et intervenir pour inviter ses partenaires à bouger sur le sujet, car malheureusement nous sommes les plus pénalisés. Mais il faut qu’on s’en mêle tous.

Par rapport à votre précédent livre, vous abordez la situation sur les marchés financiers plus largement que sous le seul prisme de l’évasion fiscale. Vous revenez sur la taxation des transactions financières, sur l’impunité fiscale, sur le blanchiment : comment mettre en place une « finance citoyenne » ?

C’est un enjeu de fond. Déjà, on nous dit de partout qu’on n’a pas les marges de manœuvre pour mener les politiques nécessaires, nous montrons que cela relève de choix politiques. L’impunité fiscale, on en parle souvent mais il n’y a pas un fraudeur fiscal en prison.

Google, condamné par l’UE, a versé seulement 800 ou 900 millions d’euros au lieu de 7 milliards. Ces grands groupes ont le pouvoir de négocier le montant de leur impôt et là où ils veulent le payer. Cela pose un grand problème de consentement à l’impôt et je comprends la colère de nos concitoyens à ce sujet. Aujourd’hui on veut faire appel à Google pour repérer les piscines non déclarées au fisc : c’est comme si on confiait la présidence de la Licra à Dieudonné ou à Marine Le Pen.

Le barème de l’impôt c’est la loi de la République, qui est votée par le Parlement, il faut la faire respecter. Le problème c’est que la loi prévoit ce genre de négociations, on ne peut pas accepter ça. Le politique doit s’imposer dans la société et à tous les étages. On perd de l’argent, ce n’est pas acceptable. Il faut faire évoluer la loi. M. Darmanin avait annoncé en 2018 la création d’un observatoire de la fraude fiscale, il n’a jamais vu le jour et M. Darmanin n’est plus ministre du budget. C’est un outil qui permettrait d’associer les ONG, les citoyens. J’avais d’ailleurs proposé ma candidature parce qu’on m’avait dit qu’il manquait un président pour créer cet observatoire. C’est invraisemblable, les candidatures ne devaient pas manquer. Il y en a assez de voir passer les scandales, on n’est pas obligé d’accepter tout ça, il faut imposer la loi de la République à tous.


L’Humanité Dimanche, le 16 septembre 2021

Milliards en fuite, les pistes pour mettre au pas la finance. Entretien avec Alain et Eric Bocquet

Le 16 septembre, l’Humanité Dimanche affichait l’ouvrage en Une de son édition hebdomadaire, et relatait un long entretien avec Alain et Eric Bocquet.


Paris Match, le 19 septembre 2021

Dans cette longue interview menée par Adrien Gaboulot, Eric Bocquet s’exprime sur la lutte contre l’évasion fiscale, les GAFAM, la taxation des entreprises à hauteur de 15% au niveau international initiées par Joe Biden, Président des Etats-Unis, et présente les grandes idées développées dans "Milliards en fuite", notamment la tenue d’une COP fiscale.

A découvrir sur le site de Paris Match et dans le magazine à paraître jeudi 23 septembre 2021.


WarningTrading, le 3 novembre 2021

Entretien avec Eric Vernier, spécialiste de la fraude fiscale

par Nicolas Gaiardo, le 3 novembre 2021

Expert de la fraude fiscale et des paradis fiscaux, Éric Vernier est consultant international et dirige l’ISCID-CO International Business School. Il vient de rédiger la préface du livre d’Alain et Eric Bocquet intitulé « Milliards en fuite, manifeste pour une finance éthique » publié en septembre 2021 aux Editions Le cherche Midi. Revenons avec lui sur le contenu de cette préface et sur les enjeux et les défis actuels de la lutte contre la cybercriminalité.

Warning Trading : Pourquoi avez-vous répondu positivement à Alain et Eric Bocquet quant à leur demande de rédiger la préface de leur livre “Milliards en fuite, manifeste pour une finance éthique” ?

Eric Vernier : Tout d’abord, je ne suis pas militant communiste et j’ai répondu favorablement parce que ce sont des hommes politiques qui se sont largement impliqués depuis plusieurs années dans la question des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale. Je trouvais cela intéressant de les encourager. De plus, n’oublions pas qu’un seul élu par parti politique s’intéresse à ce sujet ! Je réponds toujours favorablement à ce type de sollicitation.

W.T. : Dans votre préface, vous indiquez que les “mafias du monde entier intègrent dans les circuits économiques des milliers de milliards de dollars issus du trafic de drogue, de la traite humaine ou encore de la cybercriminalité”. Que recouvre le terme “cybercriminalité” pour vous ?

Eric Vernier : Je le prends au sens le plus large possible. La cybercriminalité touche de plus en plus les entreprises comme les ransomware ou rançongiciel avec la perte de données, le cryptage de données, des menaces et du chantage. J’inclus aussi ce qui peut être lié à l’espionnage et au piratage. J’y intègre également les fraudes aux fournisseurs et fraudes au Président dans lesquelles il y a, en amont, tout un travail d’ingénierie sociale très pointue faisant appel aux chevaux de Troie et aux virus qui permettent de rentrer dans le système d’information de l’entreprise. Il y aussi la délinquance astucieuse digitalisée et évidemment, toutes les arnaques touchant les particuliers sur Internet. Ces crimes et délits deviennent aujourd’hui centraux dans la criminalité mondiale.

W.T. : Désormais la cybercriminalité génère plus de revenus mafieux que le trafic de drogue. Qu’est-ce que cela nous dit du monde qui vient ?

Eric Vernier : Dans l’école de commerce international que je dirige, nous avons, dans nos formations, de plus en plus d’approche « digitalisation » dans tous les domaines, car elle est au coeur du monde actuel, mais aussi et par conséquent de la problématique de la criminalité. Pour deux raisons d’ailleurs : l’une parce que la digitalisation ouvre de nouvelles perspectives de criminalité (travail à distance, inscription à distance, échanges financiers numérisés) et l’autre, parce qu’il existe des crimes via l’utilisation des outils digitaux. Nous sommes en face d’un changement de paradigme criminel. Comme le monde se digitalise, la criminalité se digitalise. Cela va être de plus en plus compliqué de lutter contre cette criminalité qui n’a plus de territoire et plus de réalité. Le combat va être plus complexe, mais aussi plus coûteux compte tenu de la sophistication des outils et des experts qu’il faudra mettre en place.

W.T. : La cybercriminalité est intimement liée au modèle d’un internet libertaire voire anarchique (plutôt que libéral) qui se joue des souverainetés. A quelles conditions une régulation efficace d’internet et des nouvelles technologies vous semble-t-elle possible ?

Eric Vernier : Il y a quelque chose à inventer et construire au niveau supranational. Comme les groupes criminels ne sont pas rattachés à un pays ou issus d’un territoire précis, il n’y a plus d’identification nationale. On pourrait donc imaginer que la réponse ne dépendrait d’aucun pays et d’aucune alliance entre plusieurs pays. Ce serait une instance qui serait au-dessus des souverainetés internationales. Bien sûr, le risque est d’obtenir une instance extrêmement puissante qui pourrait être dangereuse. Il faut trouver le curseur entre une instance qui pourrait aller au-delà des frontières, mais qui serait malgré tout contrôlée. C’est toute la complexité de la lutte contre la cybercriminalité. Il y a une réflexion à réaliser et extrêmement de travail avant de mettre en place une telle instance. Comme le disent les frères Bocquet « nous travaillons aujourd’hui pour nos arrières petits-enfants ». De plus, pour des raisons diverses, les Etats et les dirigeants ne veulent pas forcément que la situation change. C’est une problématique qui va prendre beaucoup de temps. N’oublions pas que cette cybercriminalité touche aussi les intérêts de bon nombre de personnes comme nous avons pu le voir dans les montages des Panama Papers, Paradise Papers et Pandora Papers.

W.T. : Les frères Bocquet évoquent que “nous sommes à ce point de non-retour entre une société de concurrence et de solitudes numériques et une société de solidarités et de valeurs en partage”. Warning Trading combat au quotidien cette “solitude numérique” qui trompe des milliers d’investisseurs particuliers se faisant flouter par des fausses sociétés d’investissements. Selon vous, comment la France et l’Europe peuvent-elles lutter contre cette cybercriminalité financière qui réussit à opérer hors des radars ?

Eric Vernier : La criminalité s’est digitalisée comme le monde et ce que vous évoquez a toujours existé. Avant, c’était par téléphone, par courrier, par fax etc…. La pyramide de Ponzi a un siècle et l’affaire Madoff est passée par là entre temps ! C’est une criminalité ancienne qui s’est modernisée. Aujourd’hui, il faut que tout le monde comprenne le fonctionnement des outils numériques et Internet. C’est vraiment une question d’éducation. C’est à l’Education nationale, aux ONG, aux associations de mettre en place des moyens pour prévenir les dangers du web. Nous sommes, à l’échelle mondiale, à la traine sur ces sujets mis à part des groupes de jeunes spécifiques qui sont à la pointe. On le voit parfaitement dans les réseaux sociaux où des sujets faux prennent une ampleur considérable compte tenu du manque d’esprit critique sur l’information et les lacunes sur le fonctionnement d’un réseau social. Nous avons en face de nous quelque chose qui a toujours existé, mais qui se démultiplie avec des utilisateurs dépassés face à l’usage de ces nouveaux outils.

W.T. : Les frères Bocquet préconisent de déconnecter les autorités de contrôle et de régulation des banques du secteur bancaire en soulignant par la même occasion que l’AMF dispose d’un budget alimenté par des taxes versées par les entités qu’elle a pour charge de contrôler. Que pensez-vous de cette proposition ?

Eric Vernier : C’est le principe de ne pas être juge et parti. L’AMF a une certaine indépendance mais c’est vrai qu’il ne faut pas qu’il y ait conflit d’intérêts à partir du moment où elle est en charge de contrôler certains de ses financeurs. On pourrait imaginer un organisme indépendant des gouvernements. J’avais fait une proposition à l’époque où les frères Bocquet invoquaient la création d’une COP fiscale d’un organisme détaché des banques et des ministères et qui fédérerait des professionnels, des ONG, des experts et des politiques. Les banques pourraient cependant participer en tant qu’expert détaché. Je pense aux bénéfices de l’approche paritaire. Il ne faut pas être toujours à charge ou à décharge.

W.T. : Vous soulignez que l’argent sale global dans le monde représente 10% du PIB mondial tandis que le FMI planche sur 1% à 3% du PIB mondial. Comment expliquer cette différence ?

Eric Vernier : Selon moi, nous n’intégrons pas les mêmes crimes et délits. Quand je dis plus de 10%, j’intègre les crimes et délits, y compris les fraudes fiscales. Le FMI n’intègre que l’argent noir, l’argent purement criminel représentant 3% à 4%. Quand on intègre l’argent gris, c’est-à-dire l’argent issu de la délinquance financière, on arrive à plus de 10% d’argent sale. Si on prend les principaux crimes (prostitution, trafic de drogue et d’êtres humains), on a des chiffres précis grâce aux études et aux observatoires. La cybercriminalité pour les entreprises représente, quant à elle, une perte approximative de 1200 milliards de dollars par an dans le monde. Un chiffre qui a doublé sur les cinq dernières années. Avec la pandémie, nous pensons que ce chiffre de cybercriminalité a probablement explosé avec des pertes annuelles pouvant potentiellement atteindre 1300 à 1400 milliards de dollars pour 2021.

W.T. : En 2018, lorsque vous avez répondu favorablement à une interview pour notre média en ligne, vous précisiez “Je pense d’abord que nous ne parviendrons à éradiquer la fraude fiscale et les paradis fiscaux que lorsque les citoyens prendront en main le problème, à l’image de la protection de l’environnement”. Depuis presque 4 ans maintenant, pensez-vous que les citoyens ont les moyens de prendre le “problème en main” ?

Eric Vernier : Pour moi, la seule solution viendra des citoyens. Nous avons beaucoup d’effet de manche et d’enfumage des dirigeants. Seule la pression des citoyens pourra faire bouger les choses. Ma crainte aujourd’hui, qui existait à l’époque mais qui s’amplifie, c’est que la réaction citoyenne soit assez vive et violente. Nous l’avons eue un peu avec les gilets jaunes. Nous vivons dans une société dans laquelle il y a des personnes qui doivent payer de plus en plus de taxes et en face des scandales comme Carlos Ghosn qui se dit fier de s’être échappé du Japon où il devait être jugé. Avec tout cela, selon moi, c’est une réaction collective et radicale qui risque de prendre place pour saisir le problème de la fraude fiscale et des paradis fiscaux.


La Croix, le 11 novembre 2021

Éric Bocquet : « La lutte contre l’évasion fiscale est la mère des batailles »

par Antoine d’Abbundo, le 11 novembre 2021

Dans son livre « Milliards en fuite ! », coécrit avec son frère, le sénateur communiste du Nord Éric Bocquet dresse une liste de dix propositions adressées aux responsables politiques et aux citoyens pour « bâtir une finance éthique », contre la fraude fiscale.

La Croix L’Hebdo : Dans Sans domicile fisc, paru en 2016, vous dénonciez déjà les paradis fiscaux et les excès de la finance. Pourquoi y revenir aujourd’hui avec Milliards en fuite ! ?

Éric Bocquet  : Parce que, sur le fond, le problème reste entier. Depuis l’affaire Cahuzac en 2013 jusqu’au scandale des Pandora Papers révélé en octobre dernier, on ne compte pas moins de quatorze dossiers sur ces pratiques d’évasion fiscale à grande échelle : pratiquement deux par an ! Les Pandora Papers ont ainsi montré que 9 750 milliards d’euros, soit 13 % de la richesse mondiale, étaient dissimulés dans des paradis fiscaux, à l’abri de l’impôt. Preuve que ce système opaque continue de prospérer dans des proportions hallucinantes, alors que nous ne sommes pas encore sortis d’une crise sanitaire dont beaucoup ne se relèveront pas.

Les choses pourraient changer avec le projet de réforme fiscale proposé par l’OCDE et récemment adopté par le G20, qui prévoit l’instauration d’un impôt minimal mondial et la taxation des surprofits des multinationales. De la poudre aux yeux, selon vous ?

E. B. : Cette réforme va dans le bon sens mais le chemin est encore long pour qu’elle soit appliquée. Je note d’ailleurs que le projet est très en recul par rapport à la première annonce du président américain Joe Biden, qui proposait un impôt minimum à un taux de 25 %. Finalement, ce taux a été fixé à 15 %, ce qui est très bas. D’autant que, quand on regarde dans le détail, il est prévu tout un tas de dérogations et d’exonérations accordées aux industries extractives. Enfin, l’accord doit encore être approuvé par tous les pays, ce qui n’est pas gagné. Quelle sera l’attitude de l’Union européenne, en particulier d’États membres comme les Pays-Bas, Malte, Chypre ou le Luxembourg qui sont, de fait, des paradis fiscaux bien qu’ils ne figurent pas sur la liste établie par Bruxelles ? Au-delà des déclarations tonitruantes des responsables politiques, il faudra une pression forte de l’opinion pour faire avancer les choses.

Ce combat contre l’évasion fiscale est pour vous la « mère des batailles ».

E. B.  : Je suis d’une génération qui a grandi dans le mythe de la dette. Depuis quatre décennies, on nous assène que la France vit au-dessus de ses moyens, que les dépenses publiques sont trop élevées, que notre modèle social coûte trop cher, que cela nuit à notre compétitivité. Pourtant, dans le même temps, une masse d’argent colossale se dissimule dans des paradis fiscaux. Entre fraude et évasion de capitaux, on estime à 80 milliards d’euros la perte fiscale.
Ce trou dans les recettes est le fruit d’un hold-up des ultra-riches et des multinationales, une attaque en règle contre la République et l’intérêt général. Il est donc urgent de réarmer l’État pour lutter contre ce phénomène. Imaginez le changement si l’on parvenait à récupérer cette somme pour répondre aux grands défis du moment que sont la lutte contre le dérèglement climatique et la réduction des inégalités !

Dans votre livre, vous faites référence à l’encyclique Laudato si’de 2015. Un élu communiste qui cite le pape, ce n’est pas courant…

E. B. : Je me souviens du discours du pape François à La Paz (Bolivie) en 2015. Il parlait de l’argent comme étant « le fumier du diable ». La formule m’avait percuté. Un tas de fumier amassé dans un coin ne sert à rien. Mais le fumier que l’on répand dans un champ le fertilise. À sa façon, le pape est une voix puissante pour refuser la fatalité et la résignation qui conduisent au désespoir. Comme lui, je crois à la capacité des humains à se rassembler pour dire « ça suffit ! »

Pour remettre la finance au service de tous, vous faites une série de dix propositions. Laquelle vous paraît la plus forte ?

E. B. : Réguler la finance est l’affaire de tous. Pas seulement des dirigeants, mais aussi des parlementaires, des syndicats, des ONG, des associations, des citoyens. Voilà pourquoi nous proposons de lancer, sans tarder, une COP finance, à l’image de ce qui se passe sur le climat, pour fonder les principes et les outils d’une véritable coopération financière et fiscale…

Quand on regarde les COP climat, on peut douter de l’efficacité de ce type d’assemblée…

E. B. : C’est vrai, les COP climat ne résolvent pas tout et une COP fiscale se heurtera aux mêmes contraintes, chaque pays ayant tendance à défendre son intérêt. Mais cela permet aussi de poser un constat partagé, de donner un cap, d’ouvrir la voie à une mobilisation collective. L’Europe peut jouer un rôle pilote dans la mise en place de cette nouvelle architecture financière mondiale. Et la France, qui présidera l’Union au premier semestre 2022, s’honorerait de mettre ce sujet à l’agenda.

Que peut-on attendre du prochain président de la République en la matière ?

E. B. : J’espère tout d’abord que ce combat contre l’évasion fiscale trouvera sa place au cœur des débats de la présidentielle et que l’on arrêtera de nous casser les pieds avec des sujets qui ne font que diviser les Français.

ENTRETIEN. « La réforme fiscale internationale va profiter aux pays les plus riches »
Passée l’élection, la première mesure serait de réunir les 27 à Bruxelles pour mettre à jour la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne et se doter d’une feuille de route afin de bâtir une finance éthique, seule voie de survie de l’humanité.


Les auteurs
Frères dans la vie et camarades en politique, Éric et Alain Bocquet – l’un est sénateur communiste du Nord depuis 2011, l’autre ancien député PCF de 1978 à 2017 – ont fait de la lutte contre les paradis fiscaux et les dérives de la finance leur combat. Coauteurs de trois rapports parlementaires sur le sujet, ils gardent le souci de porter le débat auprès du grand public à travers des ouvrages aussi engagés que documentés.

L’enjeu
Suite de Sans domicile fisc (Le Cherche Midi, 2016) où ils démontaient les mécanismes de l’évasion fiscale pour mieux les dénoncer, Milliards en fuite ! (Le Cherche Midi, 224 p., 17 €) prolonge la réflexion en soumettant une série de dix propositions aux responsables politiques comme aux citoyens. Un « Manifeste pour une finance éthique » qui invite chacun à s’informer, à s’exprimer, à agir contre un fléau qui, aussi sournoisement qu’un virus, menace la cohésion et la prospérité de nos sociétés.


Libération, le 14 décembre 2021

Evasion fiscale : « On dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais les gouvernements n’ont pas d’odorat »

Quelques mois après la sortie du livre, les révélations de "l’ISF gate" dans le journal Libération ont relancé le débat sur l’évasion fiscale.
A cette occasion, Alain et Eric Bocquet ont été interviewé par Renaud Lecadre pour Libération, dans un papier paru le 14 décembre 2021 dans le cadre d’un dossier spécifiquement consacré à cet "ISF Gate".

Le sénateur Eric Bocquet et l’ancien député Alain Bocquet pointent l’inertie des pouvoirs publics dans la traque de l’évasion fiscale.

par Renaud Lecadre
publié le 14 décembre 2021 à 20h58

Auteurs de Sans domicile fisc en 2016 (Cherche midi), les frères Eric et Alain Bocquet, respectivement sénateur et ancien député du Nord, tous deux communistes, viennent de publier Milliards en fuite ! chez le même éditeur. Pour Libération, ils expliquent d’une seule voix comment en finir une bonne fois pour toutes avec le nomadisme fiscal.

Avez-vous été surpris par l’enquête de Libération sur « l’ISF Gate » ?

Nous n’avions jamais entendu parler du Canada en matière fiscale, et allons donc interpeller le gouvernement français sur ce sujet, car il y a manifestement une faille. Mais le sujet démontre que les relations bilatérales entre deux pays, comme la convention fiscale franco-canadienne, ne servent à rien. Il nous faut un cadre mondial.

Les méthodes employées sont-elles spécifiques ?

C’est un cas supplémentaire, très bien documenté, qui confirme tout ce qui a parfaitement été décrypté depuis des années : une évasion fiscale systémique, une opacité organisée, avec toute une chaîne de savoir-faire.

Vos deux rapports parlementaires remontent à bientôt dix ans et étaient sous-titrés « Et si on arrêtait ? » puis « Si l’on passait des paroles aux actes ? ». Désespérant ?

Le système n’a pas été enrayé, loin de là, mais la situation devient de plus en plus intenable. Le combat est titanesque, mais il n’y a pas d’autre choix que de le mener. L’opinion publique doit dépasser le stade de l’indignation et passer à l’action. Il faut complètement changer la donne, pour que la finance devienne citoyenne, mais manque la volonté politique. Il y a malheureusement des intérêts communs entre la politique et la haute finance. Cela arrange finalement tout le monde que le système perdure. La finance a pris le pouvoir sur l’économie réelle (elle représente 450 % du PIB mondial), elle tient les responsables politiques et les institutions. L’évasion fiscale n’est pas un simple dysfonctionnement de la finance, mais au cœur du système.

Vous assimilez l’évasion fiscale à de la délinquance pure et simple.

C’est un sport de riches pratiqué par des parasites. Sans oublier que 30 % des sommes en jeu sont d’origine criminelle : l’argent de la drogue ou du crime organisé, tout cela passe par la même tuyauterie. On dit que l’argent n’a pas d’odeur mais les gouvernements n’ont pas d’odorat. Rien ne serait toutefois possible sans l’appui logistique des banques, des auditeurs, des experts-comptables. Ils doivent aussi rendre des comptes. Le manque à gagner du fisc français a été évalué à 9,7 milliards d’euros. Aux Etats-Unis, la loi Facta permet de suspendre la licence d’une banque qui ne coopère pas pleinement avec le fisc. L’arme de la licence existe donc, utilisons-la nous aussi. Nous suggérons également l’embauche de contrôleurs des impôts, la Direction générale des finances publiques ayant perdu 38 000 postes ces dernières années.

Les méthodes de l’évasion fiscale demeurent, via l’utilisation de prête-noms (trust ou société de domiciliation), mais les destinations changent. Faut-il réajuster en permanence les listes noires des pays non coopératifs ?

Deux jours après la publication début octobre des Pandora Papers, l’Union européenne retirait les Seychelles de sa propre liste alors qu’elles y étaient pourtant ouvertement mentionnées. On se fout franchement du monde ! Au sein même de l’Europe, on a instauré un dumping fiscal effréné : Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni concentrent à eux seuls 25 % du manque à gagner mondial. Depuis le Brexit, Londres entend multiplier les ports-francs aux portes commerciales de l’Europe, un Singapour-sur-Tamise. La France va assurer la présidence de l’UE. C’est le moment ou jamais de mettre à jour sa liste noire, en proposant d’y inclure pourquoi pas le Luxembourg… Puis nous souhaitons que le sujet soit au cœur de la bataille présidentielle, que chacun se positionne.

Dans votre livre, vous insistez surtout sur l’évasion fiscale des multinationales.

Les particuliers sont relativement traçables, mais l’immense majorité du manque à gagner vient des grands groupes, et pas seulement des Gafam : le taux moyen d’imposition des bénéfices du CAC 40 plafonne à 8-9 %. Des multinationales, aux ressources illimitées, sont engagées dans un processus de suprématie mondiale, supplantant peu à peu les Etats, les privant de moyens financiers par leurs détournements fiscaux. Il est urgent de mettre sur pied une Organisation mondiale de la finance (OMF). Et de convoquer une COP fiscale, à l’instar du climat. Le principe en avait retenu par une résolution de l’Assemblée nationale en 2016. Nous avons depuis écrit au président Macron à ce sujet : pas de réponse. Gérald Darmanin avait, lui, annoncé la mise en place d’un d’Observatoire de la fraude fiscale. Il n’a jamais vu le jour, faute de pouvoir lui dénicher un président…

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