Le débat sur la dette n’est pas nouveau mais il est clair qu’il revêt une acuité très particulière du fait de la pandémie en cours depuis le printemps 2020. Celle-ci atteignait 2 400 milliards d’euros avant la crise de la COVID-19, et dans tous les débats budgétaires chaque année réapparaît le spectre de la dette.
Ainsi, fin d’année 2019, dans le cadre de la préparation du budget 2020, MM. Le Maire et Darmanin (à l’époque ministre du Budget et des Comptes Publics) ressortirent l’épouvantail de la dette en déclarant :
« Nous approchons du taux de 100% de dette sur PIB ! ». Sous-entendu, l’apocalypse.
Six mois plus tard, nous atteignions la barre des 120% et la France continuait à se financer aisément sur les marchés financiers internationaux, y compris à taux négatifs !
Le coût de la pandémie
Le gouvernement annonçait les chiffres du coût global de la pandémie. Sur les trois années, de 2020 à 2022, c’est le chiffre de 425 milliards qui est avancé, c’est plus d’une année de budget pour notre pays. C’est le résultat d’une chute des recettes, bien sûr, mais aussi d’une hausse des dépenses, les diverses mesures prises, prêts garantis, fonds de solidarité, reports de cotisations, aides directes…
L’État a été au rendez-vous, ceci pour démentir Ronald Reagan qui disait en janvier 1981 : « L’État n’est pas la solution, il est le problème ! »
.
Nous nous souvenons tous et toutes des propos du Président de la République au premier confinement, « nous serons présents, quoi qu’il en coûte », ou Bruno Le Maire disant aux entreprises « vous voulez de l’argent, nous vous en donnerons ».
Changement de doctrine
En fin d’année, le ton avait changé. Jean Arthuis, ancien ministre, fut chargé, début décembre, de constituer une commission qui aurait pour mission de redéfinir la trajectoire des finances publiques pour les prochaines années.
Autrement dit, cette fois, nous passions du « quoi qu’il en coûte » à l’addition pour tous et la potion amère pour la dépense publique.
Jean Arthuis fut auditionné par la commission des Finances du Sénat, le 23 mars, aucune surprise dans ses préconisations, « la seule voie possible est la maîtrise de nos dépenses. Nous devons donc veiller à ce que la progression des dépenses n’excède pas celle des recettes ».
Ce gouvernement a exclu de faire contribuer les contribuables les plus riches de ce pays et les plus grands groupes gagnants de cette pandémie, il a fait le choix de la dette et aujourd’hui il nous présente l’addition ! Toujours les vieilles recettes !
Le débat sur la dette monte
La bataille fait rage autour de cette question de la gestion de la dette et occupe le débat public. Et notamment au sujet de la dette détenue par la Banque Centrale Européenne.
La BCE n’a pas le droit de financer les États de la zone euro (Traité de Maastricht 1992), mais aujourd’hui, de fait, la banque détient dans ses comptes près de 3 000 milliards d’euros en titres de dettes souveraines (celles des États), elle a, de fait, transgressé ses propres règles (cela s’appelle l’assouplissement quantitatif ou encore des mesures non conventionnelles) pour racheter cette dette sur le marché secondaire, c’est-à-dire les circuits financiers privés.
La BCE détient environ 600 milliards de la dette française, elle n’est pas une banque commerciale, n’a pas de clients, pas d’actionnaires… en gros, c’est la main gauche qui doit à la main droite, dira un économiste.
Le débat est vif
Evidemment, l’idée portée par des économistes « hétérodoxes » de faire le choix d’annuler cette dette détenue par la BCE fait hurler les orthodoxes libéraux notamment. On a ainsi entendu Christine Lagarde, Bruno Le Maire, François Villeroy de Galhau crier au scandale, à l’irresponsabilité, à l’utopie, à l’impossibilité… Nous pensons que ce débat doit avoir lieu.
Certains rappellent, à juste titre, que l’Allemagne bénéficia d’une annulation de 60% de sa dette lors d’une conférence de ses créanciers, à Londres en février 1953, doublée du Plan Marshall cette annulation lui permet de devenir en deux décennies la première économie européenne. La gestion de la dette n’est pas qu’une affaire comptable et technique, c’est un sujet hautement politique !
Le monde d’après
Toutes ces discussions sur la dette doivent nous amener, en fait, à engager la réflexion plus large sur le mode de financement des États.
Aujourd’hui, la France est sous la tutelle des marchés financiers. La dette n’est pas le résultat, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, d’un excès de dépenses, du coût exorbitant de notre modèle social, de je ne sais quelle irresponsabilité budgétaire…
Non, dans la dette, il y a les intérêts que nous payons aux marchés financiers depuis des décennies (entre 35 et 40 milliards chaque année), il y a la diminution des recettes, impôts sociétés, crédit d’impôts CICE/CIR, l’évasion fiscale 80 milliards par an… et l’on voudrait culpabiliser le peuple qui « endette ses petits-enfants ».
Il y a un travail de démystification du sujet de la dette à mener, nous le ferons cette année dans le cadre d’une mission au sein de la Délégation à la Prospective. Début des travaux en mai et rapport rendu en octobre avant le débat budgétaire.
« Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation, l’une est par les armes, l’autre par la dette ». John Adams, Deuxième Président des Etats-Unis (1797 – 1801).