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A la lumière des révélations d’OpenLux, nous sommes confortés dans notre choix de ne pas avoir approuvé la convention France-Luxembourg

Le mercredi 22 juillet 2020, le Sénat examinait la Convention fiscale entre la France et le Luxembourg. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE ne l’avaient pas approuvée.

Aujourd’hui, au regard des révélations d’OpenLux dans le journal Le Monde, ils s’en félicitent.

Lire le texte de l’intervention

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative collègue Éric Bocquet et à la demande du groupe CRCE, nous examinons aujourd’hui l’avenant à la convention fiscale entre notre pays et le Luxembourg, un texte qui en précise les modalités d’application pour 107 000 de nos travailleurs frontaliers.

Cet avenant ne change rien au fond de cette convention, entrée en vigueur le 19 août 2019, et dont l’objectif affiché était de mieux lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales : elle comporte notamment une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal.

Seulement, une fois encore – c’est la raison pour laquelle nous avons demandé un retour à la procédure d’examen normale – s’agissant du Luxembourg, de telles dispositions ne sauraient être examinées dans la précipitation et regardées par le petit bout de la lorgnette, car ce petit État de 600 000 âmes, niché au cœur de l’Europe, pays fondateur du marché commun et de l’Union européenne, présente quelques caractéristiques fiscales qui méritent que l’on s’y attarde.

Citons, d’abord, l’existence au Luxembourg de ports francs, espèces de bunkers surprotégés, inaccessibles sauf aux initiés, où sont stockées des œuvres d’art à la valeur vertigineuse. Sacha Guitry, grand amateur d’art, aimait dire qu’il existait deux types de collectionneurs : les collectionneurs « vitrine » et les collectionneurs « placard ». Avec les ports francs, on est plutôt dans la seconde catégorie.

L’anonymat des propriétaires est la règle. Nombreux sont les clients des ports francs qui créent une société offshore domiciliée dans les îles Vierges britanniques ou dans toute autre juridiction de ce type, et louent un box sous le nom de cette compagnie.

Il faut également noter que le Luxembourg a fait l’objet de poursuites judiciaires de la part de la Commission européenne, pas plus tard qu’au mois de mai dernier au sujet des lois visant à empêcher le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale.

En mai 2018, l’Union européenne a pris de nouvelles dispositions ayant pour but de contrôler les actifs financiers de responsables politiques et d’entreprises. Or il se trouve que le Luxembourg fait partie des États membres qui n’ont pas encore complètement mis en œuvre ces mesures.

L’exécutif européen a instamment demandé au Grand-Duché de modifier une loi permettant aux entreprises de réduire leurs charges fiscales au-delà de ce qui est autorisé dans le cadre des règles de l’Union, dans la mesure où cela réduit les ressources fiscales dans les autres États membres.

Le Luxembourg est un pays de 600 000 habitants qui accueille autant d’investissements directs à l’étranger que les États-Unis et beaucoup plus que la Chine, indication donnée par un rapport du FMI l’an dernier. La valeur de ces investissements atteindrait 4 000 milliards de dollars. Une très grosse partie de cet argent est stockée dans des coquilles vides créées par des multinationales, sans activité réelle au Luxembourg, des véhicules financiers spécifiques, dont la seule raison d’être est de bénéficier d’une fiscalité plus clémente.

Enfin, nous nous devons de citer les révélations récentes de deux lanceurs d’alerte français à propos d’un groupe national majeur, le troisième groupe d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en France, qui a envoyé au moins 105 millions d’euros au Luxembourg entre les mois de mars 2017 et mars 2019. Il s’agit là encore d’une histoire de montages financiers complexes, impliquant des sociétés-écrans et d’autres coquilles vides, qui s’imbriquent les unes dans les autres.

L’opacité de ces structures offre à leurs promoteurs une source d’enrichissement défiant l’entendement du citoyen ordinaire. Le troisième groupe du marché des Ehpad français est ainsi détenu par une société basée au Luxembourg, « un paradis fiscal parmi les plus agressifs au monde » selon l’organisation non gouvernementale Oxfam. Quand on sait que les aides publiques allouées aux Ehpad sont passées en dix ans de 5 à 10 milliards d’euros par an en France, on comprend que nos impôts financent ainsi des structures à l’opacité redoutable.

Mes chers collègues, chacun comprendra que, dans ces conditions, et au vu de ces éléments, mon groupe ne peut s’en tenir à l’examen d’un avenant. Il exprime son plus grand scepticisme quant à la valeur d’un engagement du Luxembourg au bas d’une convention fiscale bilatérale.

Ce débat est une nouvelle occasion de poser des questions sur la politique de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales de notre pays et de l’Union européenne au moment où l’on cherche tant d’argent en Europe. Quand on pense qu’on a entendu les Pays-Bas, sur lesquels il y aurait aussi beaucoup de choses à dire en matière d’évasion fiscale, donner des leçons de rigueur à l’Europe tout entière durant des semaines… Je ferme la parenthèse.

Avec beaucoup d’autres, nous disons qu’il est urgent d’engager un processus pour affranchir l’Union européenne et ses relations commerciales des paradis fiscaux. Le groupe CRCE votera contre la signature de cette convention fiscale entre la France et le Luxembourg, aux fondements de laquelle l’avenant que nous examinons aujourd’hui ne change rien.

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