À la tribune

Michelle Gréaume, rapporteure de la Mission Défense du PLF 2024

Ce budget ne conforte ni notre souveraineté militaire ni celle de nos industries

Lundi 11 décembre, le Sénat procédait à l’examen des crédits de la mission "Défense" du Projet de loi de finances pour 2024. Michelle Gréaume en était la rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, puis s’est exprimée au nom du groupe CRCE-K.

L’intervention en tant que rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères

Lire l’intervention en tant que rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères

Monsieur le président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s collègues,

Le rapport annexé de la nouvelle LPM prévoit qu’à partir des acquis de la précédente loi de programmation militaire, la préparation opérationnelle progressera quantitativement dès 2024. Or, malgré la première marche réhaussée par les deux assemblées, cette progression quantitative n’est pas vraiment acquise en 2024. On restera donc encore loin des normes OTAN.

L’amélioration qualitative soulignée par le Gouvernement est certes réelle, elle se joue notamment à travers les grands exercices comme Orion, les futurs exercices multinationaux de 2024 ainsi que les missions de réassurance Lynx, Aigle et Gerfaut.
Toutefois, ceci ne suffira pas à garantir l’excellence de la préparation opérationnelle de l’armée de terre en vue de la haute intensité, car l’activité par combattants terrestres, le nombre de coups tirés par équipage de Caesar et le nombre d’heures d’entrainement par équipage de char vont peu évoluer.
D’autant que 2024, avec les JO de Paris ne sera pas favorable à une remontée de l’armée de terre vers la haute intensité. La préparation opérationnelle devrait être suspendue pendant plusieurs mois. S’agissant de l’entraînement de l’armée de l’air et de l’espace, on est également encore assez loin des objectifs, bien que le PLF de 2024 prévoit 140 millions d’euros de plus, les cibles d’activité prévues pour 2024 sont seulement en légère hausse.

Enfin, concernant la marine, les nombreux exercices contribuent à une remontée en puissance progressive. Au total, les prévisions d’activité pour 2024 sont donc un peu décevantes par rapport à l’ambition que nous avons portée pour le début de la LPM. Nous devrons veiller à ce que la trajectoire ascendante prévue pour les prochaines années se concrétise. Nous devrons notamment être attentifs à ce que le niveau d’activité soit préservé dans les prochains exercices, malgré la forte inflation et des efforts en faveur de l’Ukraine.

S’agissant enfin des soutiens, je voudrais insister sur la situation du Service de Santé des Armées (SSA), qui a fait l’objet d’un rapport assez alarmant de la Cour des comptes. Nombreuses vacances de poste, incapacité pour les hôpitaux militaires d’instruction à générer plus de 48 équipes chirurgicales sur les 65 prévues, difficultés de recrutement massives etc. Les problèmes sont nombreux.
Pour 2024, les crédits augmentent et devraient permettre de lancer enfin les étapes préparatoires à la construction du nouvel hôpital Laveran à Marseille, mais le SSA devra aussi faire porter ses efforts sur une meilleure coopération avec la santé civile. Car il apparaît évident que dans la situation actuelle, nous ne pourrions pas faire face à la haute intensité. Il faut également achever la transposition du Ségur de la santé, indispensable pour améliorer l’attractivité.

Voici, monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes cher.e.s collègues, les quelques points que je souhaitais soulever à propos de ce PLF 2024 qui entérine la hausse des crédits que nous avions inscrite dans la LPM, mais ne produira pas encore d’effet massif pour l’activité de nos armées en 2024. Je vous remercie.


L’intervention en tant que membre du Groupe CRCE

Lire l’intervention en tant que membre du Groupe CRCE

Monsieur le président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s collègues,

Ce budget 2024 marque la première année de mise en œuvre de la Loi de programmation militaire 2024-2030 contre laquelle notre groupe a voté.

Ce budget augmente ainsi de 3,3 milliards d’euros, pour s’établir à 47,2 milliards d’euros, sans compter les pensions civiles et militaires, soit une hausse de + 7,5 %.
A l’évidence, le ministère des armées ne connait pas la crise.

Comme vous tous et toutes ici cher.e.s collègues, je suis profondément attachée à la sécurité de notre nation et, avec elle, de nos concitoyens, celle-ci est pour moi non négociable. Manquer d’ambition dans la sécurité et la protection d’un seul de nos concitoyens constituerait une erreur lourde. Que celui-ci se trouve dans l’Hexagone, aux Antilles, en Guyane, en Polynésie ou dans l’Océan Indien, notre exigence en matière de sécurité doit être la même.

Par conséquent, nous reconnaissons les avancées positives en matière d’apports de nouveaux matériels, de modernisation, d’équipement, de formation et de revalorisation pour nos soldats.

Cela étant, nous sommes ici dans d’autres dimensions. Le quasi-doublement du budget de la défense entre 2017 et 2030, passant de 32,3 milliards à 69 milliards d’euros, s’inscrit dans une course de l’armement manifeste. Employer autant de ressources dans le surarmement inscrit notre pays dans la grande dérive militariste mondiale. Il constitue un choix éminemment dangereux pour la sécurité collective.

A cette tribune, comme à l’Assemblée nationale, les parlementaires communistes restent formels : selon nous, une telle logique ne fait que nourrir la guerre, elle ne la désarme pas.

Examinons ensuite la répartition des crédits entre les différents programmes :
Priorité est donnée à la dissuasion, avec une hausse en crédits de paiement de 13,6 %.
Je défends le maintien d’une capacité de dissuasion nucléaire défensive et de stricte suffisance comme instrument de défense et d’indépendance de la nation, mais il s’agit ici de tout autre chose. Cette priorité s’inscrit dans la stratégie militaire de l’alliance Atlantique, d’opérations de guerre projetées hors de nos frontières. Les déclarations du Président de la République, tout comme le contenu de la Revue nationale stratégique, ne sont malheureusement pas de nature à nous rassurer.

Elles vont par ailleurs à l’encontre de nos engagements internationaux en faveur d’une non-prolifération de l’arme nucléaire. La France a d’ailleurs elle-même réaffirmé en mai 2023 lors du G7 organisé à Hiroshima dans une déclaration commune « qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ». Nous gagnerions à beaucoup plus de cohérence Monsieur le Ministre.

Ajoutons que cette priorité conduit à vampiriser le reste des dépenses nécessaires à la stricte défense opérationnelle de notre nation.
Plus globalement, le déploiement des crédits souffre d’un déficit de réflexion stratégique majeur.
Celui-ci nous amène à des saupoudrages qui n’auront aucune efficacité. Le cas du programme Cyber est éloquent.

Nous investissons 300 millions d’euros notamment dans la formation et le recrutement d’experts, mais ces efforts resteront vains tant que nous ne maîtriserons pas la chaîne de valeur numérique de bout en bout. Au-delà des moyens largement insuffisants du plan européen pour soutenir l’industrie de semi-conducteurs, ceux-ci ne correspondent qu’à des subventions pour inciter des industries étrangères – pour la plupart états-uniennes – à s’installer sur le sol européen. De plus, l’ensemble des plateformes numériques (clouds, services en ligne, réseaux, serveurs) sont détenues soit par les GAFAM américains, soit par les BATIX chinois.

Une vraie politique de cyber-sécurité profitant à nos industries, et notamment de défense, à nos administrations, à nos concitoyens en matière de protection des données ne peut faire l’économie d’une véritable stratégie de réindustrialisation de la France et de l’Europe sur l’ensemble de la production numérique.

Alors oui, il s’agit de cas précis et complexes, mais l’étude du programme de dissuasion nucléaire et de notre politique cyber montrent bien à quel point, malgré les incantations du Président et de votre ministère, malgré les hausses de moyens absolument faramineuses, ce budget ne vient absolument pas conforter ni notre souveraineté militaire ni celle de nos industries, y compris celles concourant à la défense.

Par conséquent, regrettant une répartition des crédits ne confortant ni notre souveraineté, ni la stricte défense du territoire mais préférant doter de manière substantielle nos capacités de projection, le tout dans un manque criant de réflexion stratégique, nous voterons contre ce budget.

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