Sans nier la gravité de la crise sanitaire et la nécessité absolue du confinement, nous ne devons pas occulter les risques auxquels sont exposés les femmes et les enfants dans les foyers violents. Le confinement peut être un piège terrible quand il enferme une famille dans la terreur permanente des insultes, des cris et des coups. En cette période où nous déployons une immense énergie pour essayer de dominer nos frustrations et notre angoisse, il faut imaginer ce que peut être le quotidien des victimes de violences, a fortiori quand le drame se joue dans un logement exigu : l’enfer.
En annonçant la mise en place d’un plan de continuité pour protéger les victimes de violences conjugales, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre la discrimination Marlène Schiappa a anticipé ce danger. Le maintien du numéro d’appel 3919 est une excellente initiative et il faut remercier les écoutants qui continuent d’exercer cette mission dans des conditions beaucoup plus complexes.
Face à l’isolement de la victime
De nombreuses questions persistent cependant : comment fuir un conjoint violent – surtout avec des enfants – quand les parents et amis susceptibles d’offrir un refuge sont loin, quand les transports sont aléatoires et quand les hébergements d’urgence, structurellement débordés, peuvent difficilement garantir des conditions de sécurité correctes face au virus ? Quelles mesures prendre pour protéger les victimes établies habituellement hors de France ? Comment les victimes confinées chez elles peuvent-elles joindre le 3919 ou la plateforme en ligne dédiée aux victimes de violences, alors que l’on sait que le premier signe de violences conjugales est l’isolement de la victime, privée de tout moyen de communication autonome par son compagnon violent qui lui a souvent confisqué son téléphone et s’acharne à traquer ses mails ?
Si l’accompagnement des victimes peut toujours être assuré par les services de police et si le dépôt de plainte demeure possible, comment envisager qu’une victime puisse, sans courir un danger accru, porter plainte contre un conjoint violent avec lequel elle est condamnée à cohabiter à cause du confinement ? Est-il encore possible, compte tenu de l’état de nos hôpitaux, d’y faire établir des constats médicaux de coups et violences sexuelles ?
Enfin, ne peut-on craindre que, malgré le renforcement récent, dans le sillage du Grenelle de lutte contre les violences conjugales, des efforts de formation et de sensibilisation des personnels de police et de gendarmerie, ceux-ci aient le réflexe de minimiser ces violences et de les considérer comme un effet compréhensible, voire excusable, du stress lié au confinement ? Chaque jour, le décompte glaçant des victimes du coronavirus a remplacé celui des féminicides qui avait marqué l’année 2019. L’épidémie a fait disparaître les violences conjugales et intrafamiliales de l’actualité mais pas de la réalité.
Tous concernés
Nous, sénatrices et sénateurs, demandons solennellement au gouvernement de continuer à assurer la protection, en cette période de crise sanitaire majeure, des femmes et des enfants victimes de violences, que l’exigence de confinement expose à des dangers encore plus graves. Malgré l’épreuve exceptionnelle que traverse notre pays, les femmes et les enfants qui subissent des violences ne doivent en aucun cas être sacrifiés.
Le gouvernement peut compter sur les collectivités territoriales – les départements comme les communes – déjà très impliquées en temps normal dans les missions d’aide aux personnes vulnérables, de protection de l’enfance et de lutte contre les violences, pour apporter les solutions adaptées à chaque territoire pendant cette période exceptionnelle. La question des moyens alloués à ces missions et à leurs acteurs reste d’actualité.
Engageons-nous, ensemble, pour que le nombre de ces victimes n’alourdisse pas le bilan, d’ores et déjà effroyable, de la crise sanitaire. Violences intrafamiliales : citoyens, voisins, amis, parents, collègues, tous concernés, tous acteurs, tous mobilisés, tous vigilants. C’est notre responsabilité collective.