L’intervention d’Eric Bocquet lors du débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des Comptes
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Président,
Mes chers collègues,
Le monde change. Il fut un temps, pas si lointain, où la presse narrait les évènements de la veille, eh bien, sachez, mes chers/ères collègues, que désormais, la presse annonce ce qui va se passer le lendemain. Nous venons d’en avoir une illustration éclatante avec la présentation du rapport annuel de la Cour des Comptes.
Celui-ci était sous embargo jusqu’à hier matin, 10 heures, pour les parlementaires, mais fort heureusement, nous avions en accès libre les meilleures pages dans le quotidien « Les Échos », avec l’interview en exclusivité du Premier Président, ici présent, M. Moscovici.
L’exécutif nous avait habitués, depuis quelque temps, à cette forme de communication, mais je voulais souligner en préambule ce dysfonctionnement très dommageable pour le Parlement, consommant quelques secondes des maigres minutes qui nous sont allouées dans ce débat.
C’était donc mission impossible d’argumenter, d’analyser et de commenter les 725 pages compilées dans les deux volumes du rapport annuel. Le ton est donné à la Une dudit journal : « Un effort sans précédent à accomplir ». Malgré l’importance des sujets abordés dans votre rapport, mon propos se bornera à traiter de nos finances publiques.
Le gouvernement avait déjà l’ambition de réduire la dépense publique de 16 milliards avec le PLF 2024, des décrets d’urgence viennent de tomber avec un rabot de 10 milliards. M. Le Maire nous dit que le plus dur est devant nous et cette fois-ci la Cour des Comptes évalue à 50 milliards d’euros les économies à réaliser sur la période 2025/2027. N’en jetez plus, la cour est pleine.
Comme toujours, le regard n’est porté que du côté des dépenses. Un petit rayon de soleil toutefois, une note d’espoir, un point positif. Vous dites, M. le Premier Président : « La question fiscale n’est pas taboue », le « circulez, il n’y a rien à voir » sur la fiscalité, me paraît trop rapide.
Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE-K !
Parmi les pistes nombreuses à examiner côté recettes, la Cour a publié un excellent rapport en juillet 2023 sur le pilotage et l’évaluation des dépenses fiscales. Elle y indiquait que pas moins de 465 dispositifs fiscaux, communément appelés « niches fiscales », étaient appliqués dans notre pays aujourd’hui, représentant pour le budget de la République une dépense de 94,2 milliards d’euros en 2022. Dans son commentaire, la Cour indiquait, je vous cite : « Aucune évaluation sur les 11 prévues dans le programme de travail pour 2022 n’a été réalisée. » Certains dispositifs n’ont pas fait l’objet d’évaluation depuis 10 ans. Le gouvernement a-t-il pris connaissance de ce rapport ? Nous pourrions bien sûr évoquer à ce stade l’indispensable renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale qui nous coûte plusieurs dizaines de milliards chaque année. Nous pourrions aussi évoquer les 153 milliards d’euros des profits records l’an dernier par le CAC 40 et les 67,8 milliards d’euros de dividendes.
Alors oui, nous vous suivons sur le nécessaire débat sur la fiscalité. On dit parfois que les voyages forment la jeunesse, M. Bruno Le Maire participait il y a quelques jours, à une rencontre des ministres des finances du G20 au Brésil à Sao Paulo. Si M. Le Maire est arc-bouté sur son dogme « Pas d’impôt nouveau » ici en France, là-bas au Brésil, notre ministre a fait cette déclaration : « Nous voulons que l’Europe porte cette idée de taxation minimale des individus et la France sera en pointe sur ces sujets ». (Fin de citation)
Bruno Le Maire serait-il devenu le Dr Jekyll et Mr Hyde de la fiscalité ?
Entre avril 2022 et avril 2023, le nombre de milliardaires a augmenté de 7%. Ils sont aujourd’hui au nombre de 2544 dans le monde, selon la banque suisse UBS. Leur fortune cumulée atteint le chiffre de 13 000 milliards de dollars. Nous savons un peu mieux où faire porter l’effort sans précédent.
Je vous remercie.