À la tribune

Hémicycle

Débat sur le thème : Quelle portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances ?

Le Sénat débattait ce jeudi 10 juin 2021 à l’initiative du groupe CRCE sur la question de la portée de l’intervention du Parlement dans l’élaboration du projet de loi de finances.

Après une intervention générale de Pascal Savoldelli,

Lire le texte de l’intervention

Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

La Constitution de 1958 établissait un déséquilibre entre un pouvoir exécutif renforcé,
dominé par un Président de la République aux pouvoirs considérables légitimés par l’élection
au suffrage universel direct, et un pouvoir législatif aux compétences réduites.
Ce déséquilibre démocratique dénoncé par certains, dont nous, dès le début, s’est
considérablement renforcé depuis des années.
Ce que l’on a appelé l’hyper-présidentialisation du temps de N. Sarkozy ou aujourd’hui
avec E. Macron, sont les conséquences d’un régime qui donne la clef du pouvoir au Chef de
l’Etat avec en particulier, la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale.
Au fil des années, les pouvoirs du Parlement ont été réduits, rabotés et c’est le maîtremot,
rationalisé.
Qui, ici, ne constate pas cet affaiblissement continu ? Qui ne s’en plaint pas ?
Le Président du Sénat lui-même s’est élevé pour combattre la révision constitutionnelle
proposée en 2018 par E. Macron qui, entre autres méfaits constitutionnels, remettait en cause
la navette parlementaire elle-même.
Le « coeur du métier parlementaire » dit G. Larcher, est le travail législatif. Peut-il en être
autrement lorsqu’il s’agit de l’élaboration du budget de notre pays ? La loi de finances c’est la
clef de voûte de l’action de l’Etat. C’est le texte qui détermine la politique de la Nation.
Or, l’évolution du débat budgétaire au Parlement, la déchéance du pouvoir des députés et
des sénateurs à influer sur le projet présenté par le gouvernement est le symbole de la relégation
de nos assemblées.
Depuis 20 ans, depuis l’édiction et la mise en oeuvre de la LOLF, en parallèle des
restrictions constitutionnelles et réglementaires du droit d’intervention en la matière, il est
temps, grand temps, de constater la faiblesse de notre pouvoir d’intervention en matière
budgétaire.
C’est une question démocratique fondamentale. Redonner confiance en l’action politique,
au débat politique, c’est inverser le cours des choses pour que nos concitoyennes et nos
concitoyens n’observent plus jour après jour, l’impuissance de ceux qu’ils ont élu à peser sur
l’évolution de la société.

La diminution des pouvoirs du Parlement en matière budgétaire est strictement parallèle
au renforcement de contraintes imposées par l’Union européenne, et son bras armé, la
Commission européenne, dont justement notre peuple ne perçoit pas le fondement
démocratique. Nous sommes au coeur du débat sur la souveraineté populaire.
Lorsque nous parvenons à vous imposer, si j’ose dire, un débat sur ces questions votre
réponse est sans appel : ça ne se décide pas à notre échelle, dans notre hémicycle. Le maitremot
depuis 20 ans c’est : ce n’est pas euro-compatible !

  • Les taux de ce prélèvement injuste qu’est la TVA sont encadrés par des règles
    européennes, on n’y touche pas.
  • La baisse de la trajectoire d’impôt sur les sociétés de 8 points serait une obligation dans
    une économie mondialisée, on n’y touche pas.
  • La taxe sur la transaction financière qui rassemble désormais largement les partisans
    d’une plus grande justice fiscale, c’est une négociation européenne, on n’y touche pas.
  • Si vous agissez c’est la fuite des capitaux ! E. Macron lui-même a fixé la ligne : « estce
    qu’on peut massivement taper les gros contribuables, idée qu’on adore chez nous ? On peut
    le faire, mais les gros s’en vont ». Ce chantage à la fuite des premiers de cordée débouche sur
    une impossibilité à modifier tant l’impôt sur le revenu et que l’impôt sur les sociétés pour
    améliorer leur progressivité. On n’y touche pas non plus.
    Comme le développera mon camarade E. Bocquet, la réduction drastique du droit
    d’intervention sur les lois de finances. Le droit d’amendement y est réduit à sa portion congrue
    sous la pression de l’article 40 de la Constitution que nous proposons d’abroger ou pour le
    moins d’assouplir, et de la LOLF précitée. Ces outils accompagnent inexorablement la montée
    en puissance des autorités européennes en dehors d’un contrôle démocratique réel et permanent.
    Quand nous commençons à examiner la loi de finances, elle a été validée par la
    Commission européenne. Le Haut conseil des finances publiques et la Cour des Comptes ont
    vérifié si elle ne sortait pas des clous de ladite programmation des finances publiques qui établit
    la conformité de notre politique budgétaire aux objectifs financiers, économiques et sociaux de
    la Commission européenne.
    Oui, je l’affirme, la déferlante d’irrecevabilités, notre réduction du temps de parole en la
    matière, l’étroitesse de la marge de manoeuvre résultent de choix fondamentaux qui, selon nous,
    posent un problème démocratique grave.
    Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est dans une démarche critique et
    constructive que nous avons de l’ambition. Réhabiliter ses prérogatives au Parlement en matière
    budgétaire exige bien entendu des réformes structurelles lourdes, extrêmement lourdes.
    Changer l’Europe, changer notre Constitution et changer notre règlement.
    Nous avons engagé un travail, avec nos camarades de l’Assemblée, pour livrer un contreprojet
    à la réforme dite de modernisation des finances publiques qui rassemble La République
    en Marche et Les Républicains à l’Assemblée nationale. Nous vous opposerons un projet
    d’abord focalisé sur la planification des besoins de la nation et fondé sur la démocratisation de
    la procédure budgétaire.
    Nous refusons l’idée qu’une loi de programmation consiste seulement à sanctionner les
    parlementaires et les ministères dépensiers, pris dans des comptes d’apothicaires, toujours
    corsetés par la lancinante et persistante musique de la dette. Même si certains ici aspirent à voir
    inscrire une « règle d’or » dans la Constitution, nous mettons en avant une planification des
    nécessités de notre pays. Dans cette perspective, ce ne serait plus le niveau de dépense mais son
    degré d’utilité sociale et sa capacité à donner aux citoyennes et aux citoyens, les crédits dont ils
    et elles ont besoin pour transformer l’économie : la décarboner, la réindustrialiser, la rapprocher
    du consommateur, la rendre résiliente et redistributive. Voilà les défis que nous permettra de
    relever une programmation pluriannuelle cohérente !
    Je vous l’ai dit le peuple doit se réapproprier des questions budgétaires et fiscales. Pour
    lui en donner l’opportunité, il nous faut réorganiser les règles budgétaires, condition
    indispensable pour générer à nouveau du consentement. Par exemple, le Conseil
    constitutionnel, en 2006, s’est par exemple trouvé obliger de censurer un article qui créait un
    plafonnement des avantages fiscaux. Pour quelle raison ? La règle fiscale ainsi voté par le
    Parlement n’était pas compréhensible et risque de léser les contribuables. Il nous faudra clarifier
    le périmètre des missions, intégrer toutes les formes de dépenses et pouvoir tracer les crédits
    par politiques publiques.
    Une fois accomplie cette indispensable simplification, il nous faut consulter les
    citoyens. Ne pas les laisser aux portes du Parlement subir pendant 5 ans les orientations fiscales
    et budgétaires décidées par la majorité présidentielle. Contrairement à la révision
    constitutionnelle avortée d’E. Macron qui refusait cette possibilité, nous n’excluons pas que les
    contribuables puissent décider par référendum des grandes problématiques fiscales. Elles et ils
    pourraient être consultés aux moments des lois de programmations sur une ou plusieurs
    thématiques par le biais d’une plateforme numérique populaire. Je verse ça au débat. Parce
    qu’une idée minoritaire peut devenir majoritaire, les propositions sur la fiscalité que nous
    portions sortent renforcées par toute forme d’expression citoyenne, et nous engage à continuer
    de les défendre dans l’hémicycle. Je pense notamment à l’augmentation du taux et un
    élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières pour allouer cet argent à la
    transition écologique.
    Toutes celles et ceux qui sont attachés à la défense des droits du Parlement peuvent
    s’atteler à la tâche. Nous vous y invitons, avec solennité, car c’est bien l’avenir de la démocratie
    qui est en jeu.
    En conclusion, revenons à la lettre de l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme
    et du Citoyen, dévoyé successivement par la Constitution de la Vème république puis par la
    LOLF qui a scellée notre impuissance collective. Nous ne nous y résignons pas. Votre projet :
    plus de rigueur budgétaire, plus d’économies. Nous répondons : plus de service public, plus de
    participation citoyenne, plus d’efficacité et plus de Parlement. Je vous le demande Monsieur le
    Ministre : quand daignerez-vous restaurer un véritable droit d’initiative parlementaire en
    matière financière, une réelle considération pour nos débats et en adoptant des pratiques
    respectueuses de nos prérogatives budgétaires ?
    Je vous remercie pour votre attention et espère que nos échanges permettront de rénover
    la pratique parlementaire dans l’élaboration et l’examen des lois des finances. Il en va de la
    confiance dans la politique et dans notre avenir commun.

c’est Eric Bocquet qui a exprimé le point de vue du groupe CRCE.

Lire le texte de l’intervention

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers Collègues,

« Peut-on encore considérer que le vote du budget par le Parlement relève d’un acte démocratique lorsque l’on connaît la marge de manoeuvre dont il dispose ? » c’est la question rhétorique que se pose Jean-François Kerléo, auteur d’un « plaidoyer en faveur d’une réforme de l’article 40 de la constitution ».

La réponse est bien sûr négative. Il faut expliquer à nos concitoyennes et nos concitoyens que leurs parlementaires ne peuvent ni réduire les ressources publiques ni augmenter les dépenses.

Au fur et à mesure, grâce à une forme de résistance, tout en tentant de ne pas trop disconvenir au Conseil Constitutionnel, les élus du Parlement ont essayé de se ménager des marges de manœuvres. Malgré cela, nous ne pouvons toujours pas proposer de créer une dépense publique ni même d’accroitre une dépense qui nous est soumise.

Lors de l’examen du budget il nous faut la « gager » c’est-à-dire, par exemple, prendre 100 millions d’euros au programme « Handicap et dépendance » pour créditer d’autant le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes ». Cette illustration atteste qu’en réalité nous ne disposons d’aucune possibilité sans tomber dans les incohérences ou les fautes politiques.

Comme l’a expliqué mon collègue Pascal Savoldelli, les faiblesses budgétaires du Parlement sont à la fois la cause et la conséquence du rapport totalement disproportionné qu’il subit à l’endroit du Gouvernement. Paul Reynaud, ancien Président du Conseil avait livré, au moment de l’avènement de la Ve République la prophétie suivante : « Les parlementaires vont devenir des économes devant un gouvernement dépensier ».

Les parlementaires, eux-mêmes, dont des architectes de la LOLF, se sont opposés à la réduction de leurs moyens d’expression. La tribune des présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat est un appel à la libération du droit d’amendement par la suppression de l’article 40 dont nous savons nous souvenir. Publiée en 2008 à l’initiative de Messieurs Migaud et Arthuis, il est intéressant de montrer que ce dernier, Jean Arthuis, faisait à l’époque confiance en « la responsabilité des élus » pour gouverner les finances publiques. Ayant remis récemment un rapport au Gouvernement pour rappeler l’importance de mener une politique austéritaire, nous ne pouvons regretter qu’il ait oublié la parole de liberté qu’il portait alors dans les colonnes du Monde.

L’article 40 ne porte pas seulement une réponse à l’affaiblissement des prérogatives du Parlement pour ce qu’elles sont mais aussi pour ce qu’elles produisent sur les finances publiques. Comme l’expliquait les deux anciens présidents, « l’article 40 est donc devenu à bien des égards une "machine à créer de la dépense fiscale". Il accrédite au surplus l’idée dangereuse selon laquelle, en matière de déficit public, la dépense fiscale n’aurait pas le même impact que la dépense budgétaire ». Pour réagir et formuler des propositions pour remédier à la crise économique et sociale déjà bien installée, il ne reste donc au parlementaire qu’à retrancher de l’impôt à ceux qui le payent. C’est un cercle vicieux, infernal, qui participe au démantèlement de l’Etat. Cette règle constitutionnelle produit des effets dévastateurs sur le niveau des ressources du budget général.

Cette entrave vient s’additionner au carcan des règles européennes qui consacrent le Parlement dans un rôle d’observateur des décisions Bruxelloises. Nous ne sommes plus souverains dans la définition des taux de la principale recette de l’Etat : la TVA. Lorsque l’Union européenne ne produit pas de règle contraignante, on lui délègue le soin de valider notre politique économique sur laquelle, nous Parlementaires, ne sommes guères consultés. Cette même Europe s’imposerait comme la seule échelle pertinente de toutes les politiques fiscales : pouvons-nous nous résigner à cette voie de fait ?

Si tout le monde s’accorde pour déplorer l’affaiblissement du Parlement, les débouchés législatifs n’augurent rien qui vaille. Il est grand temps de restaurer sa capacité d’initiative, pour que le peuple et ses représentants puissent proposer des idées nouvelles et participer d’un renouveau de la gouvernance des finances publiques.

Nous pouvons restaurer la possibilité de présenter des alternatives budgétaires par la présentation des amendements en séance publique, comme cela était le cas il y a quelques années. Nous pouvons alléger considérablement la procédure des irrecevabilités financières. C’est de notre compétence, nous pouvons le faire dès demain.

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