Lire l’intervention d’Eric Bocquet sur les conventions fiscales avec le Danemark et la Grèce
Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur Vincent Delahaye,
Madame la Ministre,
Mes cher.e.s collègues,
Sans étude d’impact, effectivement Grégory Blanc vient de le rappeler, digne de ce nom nous éclairant dans ce maquis fiscal que sont les conventions internationales, nous déplorons que l’information du Parlement soit autant négligée. Un référé de la Cour des comptes du 31 mai 2019 regrettait, lui, le désarmement de l’expertise fiscale au sein de la Direction Générale des finances Publiques.
N’en demeure pas moins que ces conventions conclues avec le Danemark et la Grèce sont loin d’être de simples formalités administratives. Et dans le temps qui m’est imparti, j’insisterai sur deux aspects :
Le premier concerne l’imposition du produit du transport maritime de marchandises. C’est peu dire qu’il s’agit d’un enjeu crucial pour nos trois États. CMA-CGM dégage quelques 23,5 milliards d’euros de bénéfices en 2022 quand le Danois Maersk est la principale entreprise du pays et que les armateurs grecs comptant pour 21% de la flotte mondiale. Pourtant, face à ces enjeux financiers colossaux, ces deux conventions divergent sur les solutions : la Grèce a préféré maintenir une imposition fondée sur l’État d’immatriculation des navires, le Danemark, de son coté, s’est accordé sur la notion de « siège de direction effective ». Une notion difficilement applicable, malgré une jurisprudence du Conseil d’État existante quoiqu’imparfaite. Vous le savez, un siège de direction peut en cacher un autre…
Madame la Ministre, quelles sont les implications financières de l’une ou l’autre des options retenues pour les recettes fiscales associées au transport maritime ?
Madame la Ministre, je vous demande cela, car nous ne pouvons nous satisfaire, ici en France, comme en Grèce ou au Danemark, de la maigre – et c’est un euphémisme – imposition des bénéfices des transporteurs maritimes. Et pour cause, dans ces trois États s’applique la taxe au tonnage, si bien qu’au Danemark Maersk ne s’est pas acquitté de 22% d’imposition comme les autres sociétés du pays, mais seulement de 3%, créant 8,4 milliards de manque à gagner pour les finances du Danemark. La distorsion fiscale avec les travailleuses et les travailleurs est abyssale : l’imposition est 13 à 16 fois moins élevée que celui d’un salarié moyen au Danemark. Il n’est pas acceptable de nous inscrire dans ce moins-disant fiscal au prétexte de concurrence internationale ; les conventions fiscales, si ce n’est bilatérales mais mondiales, devraient créer les conditions d’un alignement par le haut, dans le sens d’une meilleure répartition des richesses, sujet en débat dans le cœur de l’actualité !
Le second point qui nous préoccupe est contenu au paragraphe 3 b) de l’article 5, qui permet de déroger à la règle d’établissement stable, pour une installation, un appareil ou navire de forage utilisé pour l’exploitation des ressources naturelles. Sans activité pendant 12 mois, voici que les recettes associées à cette activité seraient imposées dans l’autre État que celui du lieu de l’activité économique réelle. Pour le dire clairement, et peut-être n’est-ce qu’une coïncidence, Total a racheté en mars 2018 l’activité pétrolière du Danois Maersk (décidemment toujours lui) pour 6,3 milliards d’euros, soit la plus importante acquisition depuis Elf Aquitaine en 2000. Ce que nous pensons, c’est qu’en dépit de son engagement, le Danemark ne cessera d’exploiter ni le gaz ni de pétrole en mer du Nord d’ici en 2050, il s’agit d’une incitation à explorer voire à forer si le gisement s’avérait prolifique. Et oui, car le pic de pétrole serait atteint en 2026 et celui du gaz en 2028. En décembre 2022, Total intégrait un programme de deux forages intercalaires, puis dans la région pour augmenter la production de gaz à partir de 2023. L’importance est primordiale, le Danemark étant premier producteur et exportateur net de pétrole. Mais l’importance est proportionnelle au territoire couvert par cette convention fiscale : « le Royaume du Danemark, y compris toute zone située à l’extérieur de la mer territoriale du Danemark qui, conformément au droit international, […] comme étant une zone à l’intérieur de laquelle le Danemark peut exercer des droits souverains concernant l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles des fonds marins etc. ».
Toute incitation fiscale, ou dépossession du coût climatique et donc économique, de dommages causés à la biodiversité devrait être imposé dans l’État où les dommages ont lieu ! En somme, pour paraphraser une désormais célèbre formule : une convention fiscale ne devrait pas permettre cela.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons.