À la tribune

Explication de vote sur le PLF 2023

"Il ne s’agit pas seulement d’un refus d’impôts supplémentaires, il s’agit d’un front commun contre l’imposition du capital"

Mardi 6 décembre, à l’issue des débats, les sénatrices et sénateurs étaient appelés à expliquer leur vote sur le projet de loi de finances pour 2023.

Eric Bocquet s’est exprimé au nom du groupe CRCE, pour regretter un budget qui refuse catégoriquement de taxer les profiteurs de crise.

Lire l’explication de vote sur l’ensemble du PLF pour 2023

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Je ne doute pas que la citation qui suit vous fera plaisir : « Je ferai en sorte qu’à l’avenir, il soit interdit de financer les dépenses de tous les jours par de la dette ». Ces mots, on les doit à Monsieur Nicolas Sarkozy dans son projet présidentiel de 2007.

Comment ne pas regarder avec ironie ce budget proposé en déficit à 4,9%, suite au vote de la première partie, soit près de 160 milliards d’euros, excusez du peu. Un besoin d’endettement de 270 milliards d’euros en 2023. A l’heure du retour du principe de souveraineté dans le cadre idéologique de l’exécutif, la dépendance au marché financier demeure plus que jamais.

La révision constitutionnelle a tendu à sacraliser les lois de programmations des finances publiques, qui sans aller jusqu’à une règle d’or intangible, a contribué à réduire le champ d’expression du Parlement. Le droit d’initiative des parlementaires, corseté par les règles de recevabilité financière, ont une nouvelle fois miné l’examen de ce texte. La responsabilité des parlementaires est, lorsque l’on examine les dépenses, à chaque moment, engagée. Une irresponsabilité matérialisée par l’impossibilité de proposer une dépense sans piller les crédits d’une autre politique publique. Il ne fait décidemment pas bon être progressiste sous la Vème République.

Le calendrier contraint a débouché sur des situations a minima ubuesques, si ça n’était si grave, qui ont obligé les parlementaires de tous les bancs à retirer l’intégralité de leurs amendements dans le cadre de la mission « agriculture » notamment. Pressez-vous mes chers collègues, le huitième 49.3 doit intervenir au plus vite ! La démocratie parlementaire en sort abimée, meurtrie du peu d’égards qui sont manifestés à nos débats.

Le projet de budget sort du Sénat comme il est arrivé en matière de taxation du capital. Le Gouvernement et la majorité sénatoriale se sont rejoints pour refuser, ensemble :

  • Une nouvelle modalité d’imposition des multinationales, fondée sur le chiffre d’affaires pour lutter contre l’évasion fiscale.
  • Le rétablissement d’une véritable exit tax, pour lutter contre les évadés fiscaux.
  • La taxation des superprofits, indispensable mesure de justice fiscale.
  • Un accroissement de la taxe sur les transactions financières.
  • Un accroissement de la taxation des dividendes versés.
  • Un accroissement de la taxation des dividendes reçus.

Il ne s’agit pas seulement d’un refus d’impôts supplémentaires, il s’agit d’un front commun, d’une union sacrée contre l’imposition du capital. D’un front commun contre la justice fiscale la plus élémentaire.

La France est une anomalie européenne dans un contexte d’inflation des prix de l’énergie, des prix de l’alimentation qui percutent nos concitoyens et concitoyennes, nos entreprises et nos collectivités.

Pourtant, le 28 juillet 2022, quand la présidente de notre groupe, Eliane Assassi, interrogeait la Première Ministre sur le double langage du Gouvernement en matière de taxation des superprofits, à Matignon on soufflait de l’air chaud, à Bercy on expirait de l’air glacial. Dans un « en même temps » dont le Gouvernement a le secret, voici la conclusion qu’apportait Mme Borne à notre collègue, je cite : « Madame la présidente, nous serons attentifs à ce que chacun prenne ses responsabilités, et nous serons prêts à agir s’il le faut dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023 ».

Apparemment il ne le faut pas… Après une soixantaine d’heures de débat pour la première partie du projet de finances, nous avons compris que le Gouvernement refusait d’entrevoir toute taxation supplémentaire sur le capital.

Il n’y a pas de versements indus de dividendes : 44,3 milliards pour le seul second trimestre, ça n’est pas un record !
Il n’y a pas d’inflation différenciée selon que l’on est aisé ou pas, il faut rehausser toutes les tranches du barème de l’impôt sur le revenu.
Pour le Gouvernement, il n’y a pas eu de superprofits indus, le Gouvernement allant même jusqu’à laisser entendre que l’armateur CMA-CGM connaissait une période de difficultés après des profits records.
Il n’y a pas de superprofits, à part pour quelques producteurs d’énergies et Total ne réalise des profits sur son activité pétrolière que sur ses raffineries.

Il ne faudrait pas croire, comme on l’entend, que les versements de dividendes émanent d’une reprise de l’activité économique. Pas du tout ! Ils débouchent de politiques fiscales accommandantes, favorables, incitatives, décidées lors du précédent quinquennat.

A titre d’exemple, en 2018, l’année suivant la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, la fameuse flat tax, les dividendes éligibles ont augmenté de 61 % à 23,2 milliards d’euros. Jusqu’en 2020, le niveau était toujours stable, signe que la crise sanitaire n’a pas enrayé la distribution de dividendes.

Sans surprise, en tous cas pour nous, les super-dividendes supérieurs à 1 millions d’euros ont eux aussi explosé à 24% des dividendes versés contre seulement 10% en 2017.
Pour rappel, 1 million d’euros, c’est 90 334 heures de travail au Smic horaire brut, 2 580 semaines de travail, 50 ans de labeur…

Vous l’aurez compris, ce budget pour 2023 est un budget pour rien : si peu pour nos compatriotes, rien pour l’avenir.

Après avoir refusé les propositions de recettes, il fallait toute l’inventivité de la majorité sénatoriale et du Gouvernement pour expliquer que nos concitoyennes et nos concitoyens allaient voir leurs factures d’électricité exploser cette année de 15%, après une augmentation de 4% l’année précédente, après une envolée de 50% sur les 10 dernières années.

Les Français payaient, avant la guerre en Ukraine, les décisions coupables d’ouverture au marché de l’énergie et les sous-investissements chroniques dans l’énergie nucléaire. Le bouclier énergie n’y peut rien, même à 45 milliards d’euros ! Alors que nous aurions pu faire, mes chers collègues, autrement avec des recettes supplémentaires !

Un mot enfin sur les collectivités territoriales, dans un contexte où les élus ne se mettent même plus en colère, ils se sentent condamnés à subir, ils bataillent dans leur coin, ne se révoltent pas, mais font beaucoup, discrètement, au quotidien. Ils attendaient une rallonge du petit filet de sécurité pour 2022, indiscutablement imparfait, même si le Sénat l’améliore, c’est toujours insuffisant. Une seule proposition qui vaille pour répondre à la préoccupation des élus locaux partout, dans tous les territoires : le retour aux tarifs règlementés de l’électricité et du gaz pour toutes les collectivités. C’est la proposition de notre groupe qui sera débattue ici-même demain !

Quel sort adviendra de ce texte qui sort du Sénat ?
Le Sénat s’est déjà lui-même dédit, en faisant voter la suppression d’amendements adoptés, s’appliquant à lui-même une forme de 49.3 interne.
Sans grande illusion, nous le disions en préalable de ce débat sur le budget, un huitième 49.3 s’abattra sur l’Assemblée nationale. Tout en feignant le dialogue, le Gouvernement aura les coudées franches pour retenir les seuls amendements auxquels il accordera ses préférences. Nous l’affirmons ici, ce serait un casus belli de revenir sur le maintien de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, sa suppression, la CVAE.

Le Gouvernement s’adonne à un jeu de dupe auquel le Sénat a malheureusement accepté de jouer. Nous le regrettons, nous voterons contre ce budget.

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