Lire le texte de l’intervention d’Eric Bocquet sur la PPL Actions de groupe
Madame la Présidente,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Monsieur le Président de la Commission
Monsieur le Rapporteur,
En 2013, l’action de groupe était qualifiée par le ministre d’alors, Monsieur Pierre Moscovici, comme une véritable conquête démocratique, mais en même temps qu’il ne s’agissait pas d’ouvrir la boîte de Pandore et de susciter des comportements de chasseurs de primes.
Restreinte au droit de la consommation à ses origines, la procédure d’action de groupe a été élargie par la loi du 18 novembre 2016 à d’autres matières, telles que l’environnement et la santé.
Les garde-fous visant à éviter les dérives constatées dans d’autres pays, « aux graves conséquences pour les entreprises » toujours selon Pierre Moscovici, ont dévitalisé cette promesse de justice accessible au plus grand nombre. Le bilan fait apparaître selon la Direction des affaires civiles et du sceau un défaut d’attractivité, ça a été rappelé par plusieurs de nos collègues, si bien que seules 35 actions de groupe ont été initiées depuis 2014. Une seule est parvenue à contourner les méandres procéduraux et à se frayer une place jusqu’au juge, qui l’a déclarée recevable.
En effet, c’est le 5 janvier 2022 que le juge décidait que le laboratoire Sanofi allait devoir se confronter à une action de groupe formulée par l’association des victimes du valproate de sodium. A été reconnue la légitimité des requérants à vouloir obtenir réparation des malformations et des troubles du neurodéveloppement, bien connus par la firme. Sanofi a interjeté appel, l’incertitude demeure à ce jour. La première action de groupe qui passe l’étape de la première instance sera peut-être la première réelle déception d’une procédure trop complexe depuis ses premiers jours.
Madame Véronique Legrand, maître de conférences à l’université de Caen, nous rappelle les freins procéduraux. Le juge vérifie les conditions de l’action de groupe : respect des règles de compétence, des délais à agir, le fait que les requérants sont dans une situation similaire ou identique, que les critères de rattachement au groupe sont bien déterminés. A titre d’exemple, pour la première action de groupe initiée par l’association UFC-Que Choisir à l’encontre de l’administrateur de biens Foncia en octobre 2014, après 4 années de procédure, le 14 mai 2018, le TGI de Nanterre a déclaré l’action irrecevable. Où est donc passée la souplesse au fondement de cette procédure, qui devait, nous disait-on, satisfaire l’impératif d’accessibilité à la justice ?
Le désir de justice s’éloigne et les brèches sont béantes, quand le justiciable, même organisé, s’en prend à plus fort que lui, quand il s’agit notamment d’une multinationale.
Si le législateur est également responsable, il y a une réticence de certaines juridictions à donner droit aux requérants. Soit que les cas exemplaires étaient trop peu nombreux pour le juge alors qu’ils n’ont vocation qu’à permettre le lien juridique qui établit la situation similaire et la mise en cause du défendeur ; soit encore, comme l’explique M. Cédric Musso, directeur de l’action politique de l’UFC-Que Choisir, le périmètre de la loi a été, via une interprétation restrictive, considérablement réduit. En bornant les actions de groupe au droit de la consommation, sans élargir aux autres manquements aux obligations légales et contractuelles qui supplantaient largement la nature de ces dommages.
Les avancées contenues dans cette proposition de loi telle qu’arrivée au Sénat nous convenaient, bien qu’elle fût imparfaite.
Or, la réécriture produite en commission de lois est de nature à entériner un statu quo.
Nous discuterons des articles mais sont rédhibitoires pour nous la restriction aux seules associations agréées, et marginalement aux syndicats, de l’intérêt à agir ; la restriction du champ des actions de groupe en matière de santé et de droit du travail ; la suppression de la sanction civile à la demande du ministère public, ou encore le décalage de l’application de la loi aux manquements postérieurs à sa promulgation.
Nous ne simulerons pas un pas en avant pour en faire trois en arrière. Nous ne pouvons feindre de consacrer des droits aux justiciables dont nous savons d’emblée qu’ils ne pourront être correctement exercés. Cette proposition de loi tranche, quoique certaines questions demeurent en suspens, les orientations importantes sur les actions de groupe.
Maître Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris, les aborde de façon très pertinente. Par cette loi, l’on demeure dans le dogme de l’inclusion sur demande, refuse les dommages et intérêts punitifs et ne dote pas les demandeurs d’une arme puissante pour rivaliser avec le secret des affaires. Se pose alors la question de savoir si les pouvoirs publics ont conscience que ce texte en demi-teinte affaiblit la place de Paris au bénéfice d’autres capitales européennes, qui jouent le jeu d’instaurer une vraie, une véritable action de groupe.
Nous espérons pouvoir revenir sur les reculs de la commission des lois, qui semblent souhaiter protéger davantage les entreprises que leurs victimes, limiter les indemnisations de masse, et le contentieux relatif au droit du travail. Une immixtion des citoyennes et citoyens lésés dans le système judiciaire. Dans le cas inverse, nous nous abstiendrons.
Il faudra dans la navette continuer d’enlever les obstacles, l’Assemblée devra s’occuper du secret des affaires, qui ne peut entraver une justice rendue et équitable. L’action de groupe doit pouvoir aboutir, afin de dissuader et faire cesser l’impunité. Merci