À la tribune

Hémicycle

L’examen du projet de loi de finances pour 2020 débute au Sénat

Eric Bocquet, vice-président de la Commission des Finances, s’est exprimé au nom du groupe CRCE dans les débats sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2020, qui se sont tenus du 18 novembre au 10 décembre.

L’examen de ce Projet de loi de finances a débuté par une discussion sur le Projet de loi rectificatif pour 2019.

Eric Bocquet est intervenu dans la Discussion Générale pour l’ensemble des sénatrices et sénateurs CRCE.

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s collègues

En préalable, comment ne pas souligner une nouvelle fois l’extrême précipitation des débats ? Ce qui nuit, selon nous à leur qualité, vous en conviendrez. Adopté en Conseil des ministres le 7 novembre, ce texte a été examiné en séance publique à l’Assemblée nationale le 13 novembre et le jour-même en commission au Sénat. Et il est inscrit à l’ordre du jour de ce 18 novembre.

Ce projet, qui traite des 476 milliards d’euros du budget révisé, aurait sans doute mérité une étude plus approfondie, et n’en déplaise à monsieur le Ministre du budget, la seule performance de préserver ce collectif en novembre et non en décembre ne saurait justifier de mépriser une nouvelle fois le Parlement, ce qui semble devenir la marque de fabrique de ce Gouvernement, décidément.

On l’indique justement Albéric de Montgolfier, rapporteur général au Sénat, je cite : « sur le plan budgétaire, les grands objectifs gouvernementaux ne sont pas modifiés ». Et c’est bien ce que nous reprochons à Monsieur Macron et à votre Gouvernement, auquel vous appartenez monsieur le Ministre. Vous demeurez droit dans vos bottes libérales, contre vents et marées en faisant la sourde oreille à la colère monte dans le pays. Colère fondée sur la détresse sociale de plus en plus fort, sur un sentiment d’injustice sociale et fiscale croissant, sur cette pauvreté qui s’étend et s’approfondit.

Ce collectif budgétaire aurait dû être le moment, à quelques jours d’une grande mobilisation populaire le 5 décembre, d’annoncer un tournant dans votre politique, ce fameux virage social qui n’a jamais vu le jour, ce fameux acte II qui n’a, selon nous, toujours pas démarré. Il y avait urgence, monsieur le ministre, et vous restez les bras ballants dans l’autosatisfaction de votre prouesse calendaire.

Entendez-vous la détresse de ceux qui sont plongés dans la pauvreté, eux qui ne paient ni taxe d’habitation, ni impôt sur le revenu, et pour cause ? Ils ont disparu de vos radars, sauf quand ils consomment, même chichement, et paient cet impôt profondément injuste qu’est la TVA, impôt qui représente une part deux fois supérieure à l’impôt sur le revenu dans les recettes fiscales de l’État.

Ils apparaissent également sur les radars du Gouvernement quand on gèle certains minima sociaux, et comment ne pas évoquer la scandaleuse et dogmatique réduction de l’indemnisation du chômage.

Oui, une loi des finances rectificative aurait pu répondre à la détresse étudiante, au désarroi des personnels de santé et de bien d’autres catégories en souffrance.

L’abrogation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la mise en place du PFU ou flat tax, cela ne suffit pas. Les cadeaux aux riches et surtout aux ultrariches continuent de pleuvoir.
Notons d’ailleurs, à l’occasion de ce collectif, que le produit de l’impôt sur les sociétés a diminué et que le considérable chèque de 73 milliards d’euros de CICE n’a certainement pas été revu à la baisse.
Votre projet de loi de finances rectificatif ne déroge pas à la règle.

Les augmentations de dépenses, liées en particulier aux concessions arrachées de haute lutte par les gilets jaunes, bien insuffisantes au demeurant, ne vous ont certainement pas conduit à ponctionner le portefeuille des plus aisés de ce pays. D’une part, une conjoncture favorable vous a évité de le faire, les taux d’intérêt bas provoquant par exemple un allègement de la charge de la dette de 1,6 milliard d’euros. De meilleures rentrées fiscales liées à l’efficacité du prélèvement à la source, qui - rappelons-le - contraint plus le salarié que l’évadé fiscal, et de meilleurs rendements, bien modestes, de l’imposition du patrimoine ont également contribué à soulager les finances publiques.

Comment ne pas noter également que le Gouvernement a utilisé, pour compenser les mesures de la fin-décembre 2018, les bénéfices tirés de l’augmentation du prix de l’électricité. Je cite votre rapport : « l’augmentation du marché de l’électricité diminue en effet la compensation que l’Etat doit verser aux opérateurs pour l’accomplissement des charges de service public ».

D’autre part, pour maintenir l’équilibre budgétaire monsieur le ministre, vous faites également les poches des finances de l’État en effectuant un certain nombre d’annulations de crédits, fonds en réserve ou crédits réellement affectés. La lecture de la liste de ces annulations est édifiante, et souligne la coupure de Bercy de la réalité vécue par nos concitoyens.

Alors que la crise des universités est là, alors que l’acte désespéré d’un jeune a révélé l’ampleur de la précarité étudiante, vous annulez 322 millions d’euros de crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » dont 34 millions qui auraient pu être consacrés à la vie étudiante.

Tant sur le plan pratique que symbolique, cette proposition est inacceptable.
Dans le mystère des chiffres se dissimule souvent la violence sociale de votre politique. De même, comment avez-vous pu annuler 74 millions d’euros des crédits affectés à la santé ? Dans quel monde vivez-vous ?

Autre exemple, vous annulez 212,5 millions d’euros de crédits affectés à la mission « Écologie, développement et mobilités durables ». Vous diminuez même plus précisément la ligne « prévention des risques » quelques semaines après l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen. Cette mesure semble tout à fait irresponsable.

Enfin, vous annulez 308 millions d’euros de crédits de l’aide publique au développement (APD), quel choix incompréhensible. Quand monsieur Macron déclenche un débat de diversion sur l’immigration, il se prive ainsi des moyens pour apporter des solutions de long terme.
Ainsi, les choses apparaissent clairement : pour répondre à une croissance d’une dépense liée en partie à la crise sociale, vous répondez par un nouveau tour de vis austéritaire. Cette politique dogmatique à courte vue est bien loin de ce dont le pays a besoin : une autre politique fondée sur la justice sociale et fiscale, sur le développement économique.

Vous ne saisissez même pas l’opportunité historique des taux d’intérêt bas pour investir pour l’avenir et pour la jeunesse.

Voilà pourquoi, vous l’avez compris, notre groupe votera contre ce PFLR, marqué par l’immobilisme libéral.


Il a ensuite soutenu un amendement visant à assurer la compensation financière de l’abattement de 50% de la taxe foncière pour les communes entourant l’usine Metaleurop.

Merci Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes cher.e.s collègues,

Nous allons soutenir cet amendement, et au-delà des informations que monsieur le ministre nous apporte, il faut quand même qu’on prenne bien la mesure de cette situation de MetalEurop, ça remonte maintenant à 16 années, mais c’est presque la quintuple peine pour ce territoire.
D’abord, il y a la perte économique, et le chômage que ça a généré bien sûr ; les pertes financières pour les communes concernées, en termes de taxes perçues ; et Noyelles-Godault, il se trouve que c’est une commune limitrophe d’Hénin-Beaumont, voyez. Et je ne pense pas qu’il ne peut pas ne pas y avoir de lien au niveau politique, dans le territoire en question, entre les difficultés économiques qui ont contribué à la fermeture de Metaleurop, et ce que nous vivons aujourd’hui dans ce territoire particulièrement touché par la crise.
Merci.


Défense de l’amendement 4 sur l’article 5 du PLFR

Merci Monsieur le Président,

Cet amendement a trait au projet de privatisation d’Aéroports de Paris, qui n’est pas une mince affaire comme chacun sait

Une affaire qui va retirer à l’État une source de financement non négligeable et surtout elle retire un pan important de souveraineté économique, écologique et territoriale également.
248 parlementaires de toutes sensibilités se sont unis pour lancer, pour la première fois, la procédure de référendum d’initiative populaire instauré par la révision constitutionnelle.
C’est un lourd défi, puisqu’à présent, il faut 4,7 millions de soutiens qui doivent être recueillis, afin que cette procédure référendaire puisse se poursuivre.
A l’heure qu’il est, près d’un million de signatures ont été recueillies en dépit de deux obstacles majeurs : en premier lieu, le ministère de l’Intérieur a mis en place un site de recueil numérique des soutiens particulièrement rébarbatif et peu fonctionnel. On aurait pu imaginer que la start-up nation mette en place des outils beaucoup plus efficaces que ceux-là. Et en second lieu, le pouvoir refuse obstinément d’agir pour que l’information sur l’exercice de ce droit constitutionnel soit délivré à l’ensemble de nos concitoyens et concitoyennes. Je dis droit constitutionnel car nous sommes dans une procédure encadrée dans l’article 11 de la Constitution.
La validation par le Conseil Constitutionnel de la proposition de loi référendaire originelle, déposée par ces 248 parlementaires, ouvre donc droit, un droit constitutionnel, celui d’apporter son soutien à la tenue d’un référendum. En ce sens, ce droit s’apparente au droit de vote.
Il ne s’agit en rien d’une simple pétition, comme le Gouvernement et ses soutiens l’affirment souvent. En démocratie, me semble-t-il, les citoyens doivent être informés de la possibilité d’exercer un tel droit, l’Etat doit mettre les moyens en œuvre en ce sens. Il doit intervenir auprès des chaînes publiques, qui ont un rôle citoyen à jouer en la matière pour qu’elles informent largement. Nous en sommes loin puisque Radio France, par exemple, a déjà fait savoir ses grandes réticences à passer des spots financés par les parlementaires eux-mêmes, face au refus du gouvernement.
12 millions d’euros avaient été dépensés pour la campagne d’Emmanuel Macron pour réagir au mouvement des Gilets Jaunes, ce fameux grand débat.
Nous proposons que 5 millions d’euros soient consacrés en urgence à la campagne pour le référendum d’initiative populaire, qui court jusqu’à mars 2020.
Est-ce trop demander de favoriser et respecter l’exercice d’un droit constitutionnel ?


Eric Bocquet a ensuite réagi à l’avis défavorable émis par le Gouvernement pour les amendements
n°7 rectifié ter ; nos5 et 8 rectifié, ainsi que le n°11, qui tentaient de contrer la suppression de crédits accordés à certaines missions (Enseignement Supérieur et Recherche, majoritairement) :

Oui monsieur le Président, une réaction également à ce propos sur la dépense publique, qu’on ne peut pas aggraver le déficit etc…
Cela fait 45 ans qu’on vit avec un budget en déséquilibre dans ce pays. Donc l’histoire de la dette, ça ne va pas s’arrêter demain. Nous va réemprunter 200 milliards d’euros cette année, autant l’année prochaine.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. – Plutôt 205 milliards d’euros !

M. Éric Bocquet. – rembourser 35 milliards d’euros à 40 milliards d’euros d’intérêts aux marchés financiers !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. – En effet !

M. Éric Bocquet. – Est qu’il faut encore un Parlement pour élaborer le budget de la République ? Est-ce qu’il ne faut pas demander aux marchés financiers de la faire à notre place ?
Parce que 300 millions, oui, c’est un investissement pour l’avenir. C’est une dépense aujourd’hui, mais un investissement pour demain. Former les étudiants, soigner les gens, éduquer les gens, ça c’est de la richesse qu’on va produire demain ensemble.
Et rappelez-vous, même un an en arrière, au plus fort de la crise des Gilets Jaunes, le 9 décembre, je me souviens des propos de Mme Pénicaud sur une grande radio nationale.
Elle dit ce dimanche 9 décembre « on ne va pas augmenter le SMIC, pas de coup de pouce au SMIC parce qu’on sait que ça détruit de l’emploi ».
Le lendemain, 20h, lundi 10 décembre, Monsieur Macron trouve 10 milliards d’euros pour répondre ou tenter de répondre, calmer le feu de la crise des gilets jaunes. Et souvenez-vous les collègues, on votait le mardi 11 décembre ici-même au Sénat, on a voté un amendement « à blanc ». (M. Jean-François Husson le confirme.) On ne savait même pas d’où cet argent allait sortir et il a été voté. Voyez ! Alors, 10 milliards d’euros d’un côté, 320 millions d’euros de l’autre, franchement, on n’a pas fini de sortir de ce débat sur la dette ! Parce que ce n’est même pas la peine d’engager le débat sur le projet de loi de finances jeudi ! Il y a la dette : arrêtons tout !


Enfin, il a défendu l’amendement n°6 sur les articles additionnels de ce PLFR.

Merci Monsieur le Président,

Voilà un amendement qui va aider le Gouvernement à faire des économies, et donc il recevra sans doute un avis favorable de Monsieur le Ministre.
Nous proposons que l’État et le Gouvernement ne puissent engager plus de 500 000 euros pour promouvoir une privatisation, sans qu’une disposition législative expresse l’y autorise.
Selon ce qui a été indiqué à l’Assemblée Nationale, les coûts de marketing engagés et dépensés par la Française des jeux ont augmenté de 6 % durant le premier semestre de cette année, portant à 138 millions d’euros cette ligne de dépense.
Cet amendement a une portée symbolique, des sommes importantes de l’argent publique jusqu’à présent ont été consacrées pour la vente d’un bien commun : cela nous semble quelque peu baroque !


L’examen du Projet de loi de Finances pour 2020 a débuté le jeudi 21 novembre 2019.

Eric Bocquet est intervenu lors de la discussion générale, au nom du groupe CRCE, afin d’indiquer la position des sénatrices et sénateurs.

Madame la Présidente,
Messieurs les Ministres,
Mes cher.e.s collègues,

Voilà maintenant plus de deux mois que votre Gouvernement fait assaut de communication pour vendre à l’opinion publique ce budget comme étant le budget de réponse à la crise des Gilets jaunes.

Elle n’est ni une simple saute d’humeur, ni un coup de colère passager. Ce mouvement est l’expression de la crise sociale profonde que connait notre pays depuis trop d’années. Le problème est ancien donc, mais votre politique, messieurs les ministres, menée depuis deux ans et demi n’a fait qu’aggraver la situation.

Que nous dit ce mouvement ?
Il dit d’abord que nos concitoyens ne supportent plus de ne pas être entendus, ni compris, ni même parfois d’être considérés comme faisant partie de la population par un pouvoir parfois jugé comme technocratique et arrogant, donnant l’impression de prendre des décisions selon une logique de tableau Excel, davantage qu’en étant immergé dans la vie réelle.

Ces sentiments sont largement partagés par ceux dont le président Macron a dit un jour qu’ils ne sont rien, ou encore ceux qui ne figurent pas parmi les bienheureux « premiers de cordée ». Plus que jamais, notre société est profondément fracturée. La France d’en haut et la France d’en bas de notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin, la fracture sociale portée en son sens par le candidat Jacques Chirac ou la France périphérique d’aujourd’hui se révolte, et dit sa colère de ne pouvoir mener une vie décente, une vie tout simplement normale.

Notre République va mal car notre société voit des inégalités de plus en plus fortes. Les rapports successifs, notre vécu quotidien nous le démontrent régulièrement.

Votre politique, quoi que vous puissiez en dire, aggrave cette situation. En 2018, le taux de pauvreté a augmenté de 0,6% pour atteindre 14,7% de la population, près d’un français sur 7 sous le seuil de pauvreté dans notre pays, 6ème puissance économique mondiale, 3ème au plan de l’Union Européenne. Concrètement, au-delà de ce pourcentage, ce sont 400 000 personnes qui ont basculé dans la pauvreté, pauvreté qui concerne aujourd’hui plus de 9 millions de nos concitoyens. Un chiffre en hausse, qui se trouve être le plus élevé depuis 2011, et qui n’a été dépassé qu’à deux reprises depuis 23 ans : en 1996 et en 2011.

Et du côté des premiers de cordée, où en sommes-nous en cette année 2019 ?
Eh bien ne soyez pas inquiets mes cher.e.s collègues, soyez même enthousiastes, de ce côté-là tout va bien, merci pour eux ! Et ces premiers de cordée ont toutes les raisons de se féliciter des choix économiques et fiscaux du Gouvernement de monsieur Macron. Les mesures socio-fiscales mises en place par le Gouvernement en 2018 ont augmenté le niveau de vie des français de 1,1%, mais elles ont surtout avantagé les 10% de nos concitoyens les plus aisés. Cette catégorie a gagné 790€ de niveau de vie par an en moyenne, contre 130 à 230 pour le reste de la population. Les plus grands bénéficiaires des réformes de l’exécutif ont été, bien sûr, les détenteurs de capital. Le remplacement de l’ISF par l’IFI est notamment chiffré à 10 000€ de hausse de revenus disponibles pour les ménages concernés. Selon l’institut des politiques publiques, l’effet cumulé des mesures fiscales et sociales prises en 2018, 2019 et 2020 entraîne une hausse de 23 000€ pour les 0,1% les plus riches de la population. Ce qui concrètement concerne les foyers fiscaux dont le revenu annuel est supérieur à 700 000€. Voilà la réalité, voilà la traduction concrète de vos choix, messieurs les ministres.

Après le grand débat, plus rien ne devait être comme avant. Nous allions entrer dans l’Acte II du quinquennat, et ce budget allait donc traduire en actes concrets le virage social annoncé. Vous nous dites vouloir rendre du pouvoir d’achat aux Français, le récit est peaufiné, millimétré et colporté à l’envi via médias et réseaux sociaux interposés. Votre Gouvernement ne revient pas sur les mesures fiscales en faveur des plus riches, engagées en 2018. Loin d’un tournant social, nous sommes davantage dans une pause tactique de votre part. Votre maître-mot dans ce budget, c’est la baisse des impôts. Présentée ainsi, l’affaire paraît séduisante. Cela signifie qu’il y aura mécaniquement moins d’argent dans les caisses de l’Etat, mais derrière une communication tonitruante se dissimule une toute autre réalité. Moins d’argent dans les caisses se traduit par l’austérité pour nos services publics, moins de crédits pour répondre aux urgences sociales et climatiques. La baisse de l’impôt sur les sociétés va se poursuivre, des milliards d’euros vont être versés sans conditions, alors que certains de ces grands groupes continuent de délocaliser leurs usines à l’étranger, dans des pays à bas coût de production. Ce nouveau cadeau pour le capital représente en fait 2,5 milliards d’euros en moins pour notre budget, pour nos hôpitaux, nos retraités, nos communes et la transition écologique.

Ce n’est pas l’impôt qui est le problème. C’est l’injustice fiscale qu’il faut combattre. L’impôt donne à l’Etat les moyens de construire une société solidaire et juste. Je reprendrai à mon compte cette phrase d’Henry Morgenthau, secrétaire d’Etat au Trésor du président Roosevelt, dans les années 30 : « l’impôt, c’est le prix à payer pour vivre dans un monde civilisé ».

Le consentement à l’impôt s’appuie sur des principes de justice fiscale, de progressivité et surtout sur l’idée que personne ne doit échapper à l’impôt et notamment les contribuables les plus importants.

A ce propos monsieur le Ministre, nous sommes demandeurs d’informations détaillées sur la mission qui fut confiée à la Cour des Comptes le 25 avril dernier par le président de la République, lors de sa conférence de presse clôturant le grand débat. Cette mission consiste à évaluer le montant de la fraude et de l’évasion fiscale pour notre pays. Son rapport devait être rendu avant le débat budgétaire au parlement, nous sommes le 21 novembre, le texte arrive au Sénat et nous n’avons plus aucune nouvelle. D’autant plus inquiétant que dans ce PLF ne figure véritablement aucune mesure significative de lutte contre l’évasion fiscale. Est-ce à dire que vous considérez que le problème serait complètement et définitivement réglé ?

Nous formulerons de nombreux amendements dans les débats à venir, la justice fiscale est notre boussole, nous proposerons le rétablissement de l’ISF ainsi qu’un barème avec un nombre de tranches supérieur, afin que les petits revenus paient moins et que les plus gros paient davantage. Nous proposerons également des amendements visant à réformer la TVA, faible sur les produits de première nécessité, forte sur les produits de luxe dont le commerce se porte à merveille., une hausse de 10,8% en 2019 selon les revues spécialisées. Voilà un effet de ruissellement évident de la suppression de l’ISF et de la mise en place du PFU.

Oui messieurs les ministres, ce sont bien les plus modestes qui subiront les effets de vos choix économiques et fiscaux. Votre baisse d’impôt sur le revenu ne profitera évidemment pas à ceux qui ne gagnent pas assez d’argent pour être imposables. Vous proposez de faire des économies sur la santé, le logement, sur l’assurance chômage, sur les APL à nouveau, sur la vie étudiante et nos services publics de proximité. Vous avez fait le choix très libéral de vendre nos bijoux de famille, avec la privatisation des groupes ADP et Française des Jeux. Selon votre conception, pour que le travail paie, il faut passer via la Caisse d’allocations familiales, ce sera la Prime d’Activité, via l’Etat par les baisses d’impôts, et via la Sécurité Sociale par des allègements de cotisations.

Bref, c’est à la solidarité nationale, c’est-à-dire nous toutes et tous, de payer ces augmentations de salaires. On n’augmente pas vraiment les salariés, alors même que la distribution des dividendes bat encore des records cette année dans notre pays.

Dans votre stratégie de communication, vous mettez en avant la restitution de pouvoir d’achat aux français, par le biais de la suppression de la taxe d’habitation, très bien, séduisant, mais il convient ici de bien analyser les conséquences pour les collectivités de cette décision. Pour les communes, mais aussi pour les départements, ceux-ci ont clairement exprimé leur désaccord avec votre proposition de remplacer la TH des communes par la taxe sur le foncier bâti, perçu jusque-là par les collectivités départementales, d‘autant plus que l’année de référence serait 2017 et non pas 2019. Lors du récent congrès des départements de France, les présidents dans leur diversité politique, ont exprimé clairement leur opposition à cette mesure. De très nombreux départements connaissent déjà des situations financières très tendues, ils considèrent aussi que les propositions gouvernementales demeureront inacceptables si les départements ne conservent pas une liberté. Et c’est bien là une deuxième pierre d’achoppement, celle de l’autonomie financière des collectivités. Le projet de compenser les pertes par une part de TVA contrevient à ce principe, seul l’Etat a la maîtrise des taux de TVA, sans compter les aléas que peut subir cette taxe en fonction de l’intensité de la consommation et donc de la croissance économique.
Certes, on nous promet la compensation à l’euro près, mais les élus son échaudé. L’histoire a montré combien ces engagements de l’Etat peuvent rester très souvent bien aléatoires. Non, décidément non, M. le Ministre, le compte n’y est pas pour les départements.

Dans nos communes et les territoires ruraux, la disparition des services publics se confirme d’année en année. Là encore, cette revendication s’est fortement exprimée dans le Grand débat et le mouvement des Gilets jaunes.

On cherche également dans ce PLF la marque d’une grande ambition sur la transition énergétique et le réchauffement climatique. Ce budget 2020 ignore avec l’urgence sociale, l’urgence climatique.
Certes, on évoque une augmentation de 800 millions d’euros des crédits pour la transition écologique. Si Bercy a distribué un petit livret vert pour vendre ses actions, les choses ne bougent guère sur le fond. Les experts sont d’accord pour estimer qu’il faudrait investir 30 milliards d’euros dans la transition écologique. Les taux des emprunts sont actuellement négatifs pour les prêts jusqu’à 15 ans de maturité pour notre pays. Ce serait le moment ou jamais de profiter de cette occasion historique.

Les besoins sont pourtant clairement identifiés. Il faudrait rénover 7 millions de logements qui sont de véritables passoires thermiques, soit au rythme d’au moins 700 000 logements par an. Nous en sommes aujourd’hui péniblement à 250 000 rénovations, dont seulement 40 000 rénovations complètes. A l’évidence, nous prenons du retard.

Sur la thématique des transports, il y a trop peu dans votre budget pour investir massivement en faveur des transports ferroviaires, quasiment rien ou si peu pour le fret, pour améliorer le transport des voyageurs avec plus de dessertes et des billets moins chers.

Dans le même ordre d’idées, le gouvernement serait bien inspiré d’accompagner les collectivités qui s’engagent de plus en plus nombreuses vers la gratuité des transports collectifs.

Le temps est venu d’une autre politique budgétaire, d’une autre logique de gestion. La réduction dogmatique de la dépense publique nous a amené dans l’impasse. Il nous faut, M. le Ministre, changer le logiciel de votre politique. Pour sortir de cette impasse, il aurait fallu s’attaquer aux près de 500 niches fiscales représentant un total de 100 milliards. Le seul CICE, aujourd’hui transformé en baisse des charges, aura coûté 100 milliards pour générer péniblement 130 000 emplois. Vous n’annoncez rien de neuf en matière de lutte contre toutes les pratiques d’évitement de l’impôt toujours à l’œuvre dans notre pays. Des dizaines de milliards d’euros échappent à la collectivité. C’est une lutte sans merci qu’il faut livrer contre ces pratiques scandaleuse. Il y a là des ressources abondantes à récupérer pour répondre aux grands défis de notre temps.

Dans cet esprit, nous déposerons un amendement sur la « mission gestion des finances publiques » afin de décider la création d’un Observatoire de la fraude fiscale, excellente idée, M. le Ministre, lancée avec fracas il y a un an, perdue aujourd’hui dans les limbes de la communication politique. Cette idée, nous la reprenons à notre compte et ce gouvernement ne manquera pas de la saluer et de la soutenir. Nous en sommes convaincus.

Certes, notre pays n’est pas une exception dans le monde, mais toutes les estimations disponibles montrent qu’en France, les montants de la fraude sont très élevés. La multiplication des affaires montre d’ailleurs qu’elles se sophistiquent et qu’elles demeurent extrêmement coûteuses.

Il faut aussi relever que les effectifs du contrôle fiscal baissent depuis plusieurs années, ce qui se traduit par une baisse du nombre des contrôles et par conséquent, par une baisse des résultats du contrôle fiscal. Selon le rapport de la Cour des Comptes de juin 2018, les effectifs du contrôle fiscal ont diminué de 1733 agents en équivalent temps plein entre 2012 et 2016, ce qui représente 11% des effectifs. Il y a donc véritablement de quoi s’inquiéter. Créer une nouvelle police fiscale en 2018 c’est bien, maintenir les moyens humains du contrôle fiscal c’est mieux !

Toujours cet écart saisissant entre une communication brillante et abondante et la réalité des choix faits par votre gouvernement.

Pour conclure, ce budget est très loin de répondre aux aspirations légitimes exprimées dans notre pays de manière de plus en plus marquée.

Un budget doit être l’outil de la justice sociale, de la justice fiscale et du progrès pour la société.

M. Macron « Président des riches », voilà une étiquette dont vous aurez du mal à vous débarrasser, à l’instar du fameux sparadrap du Capitaine Haddock dans « L’Affaire Tournesol ».


Explication de vote sur l’article 2 (jusque là réservé), samedi 23 novembre 2019.

Merci Madame la Présidente,

Ce barème de l’impôt, ce n’est pas le marronnier du groupe communiste chaque année !
C’est tout simplement la prise en compte de la réalité sociale, économique et financière de notre pays.

Il faut quand même rappeler qu’en 1983, il y avait dans notre pays quatorze tranches d’impôt, avec un taux maximal à 65 %. Ce n’est pas la préhistoire ! Ce n’est pas si vieux.
En 1988, on est passé à treize tranches, avec un taux maximal à 56,8 %.
En 1994, il n’y avait plus que sept tranches, avec un taux maximal à 56,8 %.
En 2006, il n’en restait que cinq, avec un taux maximal à 48,09 %.
Aujourd’hui, nous en sommes à cinq tranches, avec un taux maximal à 45 %.

Est-ce que la France se portait-elle plus mal à l’époque ? Est-ce que cette diminution de la progressivité a favorisé le budget de la République et l’état de la Nation ? Première remarque.

Deuxième remarque, on nous dit que l’impôt est hyperconcentré sur le sommet de la pyramide. Mais oui ! Rien de surprenant ! L’an dernier, les plus fortunés, soit 1 % de la population, ont accaparé 82 % de la richesse produite dans ce pays. Oui, il y a bien concentration de la richesse au sommet de la pyramide. Dans ces conditions, pourquoi pas une concentration de l’impôt ?

En 2017, 10 % des plus riches de ce pays possédaient 50 % de la richesse, quand les plus pauvres s’en partageaient 5 %. Voilà le fameux grand écart dans ce pays, cette fracture sociale que beaucoup ont décrite et condamnée, mais n’ont pas combattue en son temps ! Voilà la réalité de ce pays !

De qui parle-t-on quand on veut faire payer les très hauts revenus ?

J’ai sous les yeux le barème avec les revenus fiscaux par référence et par tranche. Si l’on fixe le seuil à 100 000 euros de revenus par an – ce n’est pas la grosse fortune ça–, 37,5 millions de foyers fiscaux se trouvent sous ce seuil, sur un total de 38,3 millions de foyers fiscaux. Faire payer les plus riches, c’est faire payer les 800 000 foyers fiscaux qui déclarent plus de 100 000 euros par an.

Si je prends l’exemple des contribuables qui perçoivent 2 millions d’euros de revenus par an – cela fait 5 479 euros par jour : ce n’est pas mal pour vivre, ça va pas mal quoi ! Ne pourrait-on pas faire payer un peu plus ces gens-là ? Ce n’est pas la détestation des riches, c’est la détestation de l’injustice fiscale qui nous motive !

Merci pour ce débat, qui a été l’occasion de rappeler ces principes.

La presse en a parlé Public Sénat a publié un article reprenant la démonstration d’Eric Bocquet.


Le vote sur la première partie de ce projet de loi de finances a eu lieu le mardi 26 novembre 2019.

Eric Bocquet s’est exprimé au nom du groupe CRCE, et a annoncé que les sénatrices et sénateurs CRCE voteraient contre cette première partie du PLF.

Monsieur le président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Avant de donner l’avis du groupe CRCE sur la première partie du budget 2020, qui ne laisse, vous l’imaginez, aucun suspens, je voudrais dénoncer solennellement les conditions inacceptables d’examen par le Sénat de la loi de finances. Ce n’est pas tant le nombre des amendements qui pose le plus gros problème, même si cette inflation devrait nous amener à réfléchir à nos méthodes de travail.

Mes chers collègues, avec ce débat de première partie, nous venons d’inaugurer la méthode d’examen d’un budget à la découpe. On peut comprendre l’appel en priorité de certains articles, mais quand cette méthode devient systématique, elle pose problème pour la qualité du travail législatif mené. Ajoutons à cela l’arrivée inopinée de dizaines d’amendements du gouvernement que la commission des finances n’a pas eu le temps d’examiner, il nous faut dès lors statuer sur le seul avis de notre rapporteur général qui subit comme nous tous cette anarchie.

Trop souvent, chacune et chacun d’entre nous a le sentiment que l’organisation de débats de notre assemblée dépend essentiellement de l’agenda des ministres. Enfin, comment accepter cette interruption de nos travaux dimanche matin à 0h35 quand nous avions collectivement décidé d’examiner les articles jusqu’à 3h00 du matin ?

Aucune explication officielle ne nous a été fournie à cet instant.

Mes chers collègues, il me semblerait salutaire que le Sénat, dans sa grande diversité, exprime sa désapprobation auprès du gouvernement que ces méthodes. Nous avons droit au respect, il y va du respect de nos institutions, de la République et de nos concitoyens.

Mes chers collègues, au fil des années, nous perdons le sens du débat budgétaire, et nous constatons, d’années en années, l’affaiblissement progressif de l’intervention du Parlement. C’est une question démocratique majeure.

Sur le fond, le gouvernement a donc mis en avant la baisse de l’impôt sur le revenu.

Bien entendu, la TVA, impôt qui pèse quasiment deux fois plus lourd, 130 milliards, n’est pas remise en cause, de près ou de loin, et sur ce point, la majorité sénatoriale est pleinement d’accord avec le gouvernement.

Notre proposition de réduire la TVA sur les produits de première nécessité et parallèlement, de la renforcer sur les produits de luxe a été balayée d’un revers de main.

Le gouvernement, bien entendu, a maintenu l’abrogation de l’ISF. Il fait ainsi fi de l’exigence partagée par une immense majorité de nos concitoyens, plus de 70% favorable à une imposition des grandes fortunes, qui se portent on-ne-peut-mieux.

Nos compatriotes, mais c’est aussi un constat dans de nombreux pays en ébullition, ne supportent plus ces inégalités croissantes, insupportables, cette concentration de la richesse du monde dans les mains de quelques dizaines d’individus dirigeants de ces super multinationales qui ont pour objectif ultime, ni plus ni moins, de diriger le monde.

Sur l’impôt sur le revenu, une participation des plus riches à l’effort de solidarité nationale est un sujet tabou, pour beaucoup d’entre vous.

De même pour le refus de supprimer la « Flat-tax » ou le PFU ou rétablir pleinement l’Exit tax.

La collectivité, par l’austérité qui réduit les services publics à une portion congrue et le rétrécissement de droits sociaux fondamentaux comme les retraites.

La taxe d’habitation est un bon exemple de la stratégie de ce Gouvernement. En étranglant financièrement les communes, vous entendez les mettre au pas, les pousser à la contractualisation qui débouchera fatalement sur la déchéance du service public.

Sur le plan de l’écologie et de la transition énergétique qui a occupé une partie importante de nos débats, comment ne pas constater le décalage entre les intentions affichées et la faiblesse des moyens mobilisés ?
Vous l’avez compris mes chers collègues, notre groupe votera contre la première partie du PLF 2020.


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