À la tribune

Droits des femmes

Le Sénat vote en faveur de l’inscription de l’IVG dans la Constitution

Mercredi 28 février 2024, le Sénat débattait autour du projet de loi constitutionnelle "Liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse". Pour le groupe CRCE-K, c’est Ian Brossat qui s’est exprimé sur l’adhésion des sénatrices et sénateurs à ce projet.

L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, en bref

En France, la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse est aujourd’hui garantie par la loi. Depuis la loi fondatrice du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse, le législateur a pleinement pris ses responsabilités, comme l’y invitait Simone Veil dans son discours à l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974. Très récemment encore, avec la loi du 2 mars 2022 qui a élargi et conforté l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, le Parlement a ajusté l’équilibre nécessaire en veillant, comme le disait Simone Veil, à apporter « à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et juste ».

Si, dans notre pays, cette liberté n’est pas aujourd’hui directement menacée ou remise en cause, hormis par quelques courants de l’opinion heureusement très minoritaires, tel n’est pas le cas dans d’autres États et non des moindres.

Dans un tel contexte, l’inscription de cette liberté dans notre Loi fondamentale ferait de la France l’un des premiers pays au monde et le premier en Europe à reconnaître dans sa Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse et permettrait de la consacrer au niveau le plus élevé de notre hiérarchie des normes, nous prémunissant ainsi contre toute remise en cause par la loi.

Lire le texte de l’intervention générale de Ian Brossat pour le groupe CRCE-K

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Madame la Rapporteure,
Mes cher.e.s collègues,

Nous avons tous, je le crois, et cela se sent dans ce débat, le sentiment de vivre un moment important sinon historique.

Historique d’abord parce qu’il s’agit d’apporter modification à notre Constitution, et que ce n’est pas un geste anodin.
Important, historique parce que cette modification, et cela a été dit précédemment, fait écho aux combats menés par des millions de femmes à travers le monde depuis des siècles, pour conquérir le droit de disposer librement de leurs corps.
Historique enfin, parce que, aujourd’hui même, des millions de femmes, et d’hommes aussi, attachées à cette liberté fondamentale, nous regardent et nous écoutent.

Car de quoi s’agit-il ? De faire du droit à l’avortement une liberté garantie pour toutes les femmes qui vivent sur notre sol.
C’est un combat que notre groupe, et je le dis en ayant en face de moi Laurence Cohen, c’est un combat que notre groupe a porté depuis de très nombreuses années, puisque, dès 2017, nous avons proposé, par une proposition de loi constitutionnelle, que l’IVG puisse être constitutionnalisé.

Et aujourd’hui, avec ce projet de loi constitutionnelle, nous avons la possibilité d’inscrire le droit à l’avortement dans notre Constitution. Le souhait de notre groupe, c’est que ce texte puisse être voté dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale.

Or, qu’entendons-nous depuis que ce projet est sur la table ?
Nous entendons que l’IVG ne serait pas menacée. Et pourtant, tout montre qu’elle l’est.
Elle l’est d’abord en France, parce que des forces rétrogrades n’ont pas renoncé à la remettre en cause, parce que des forces médiatiques s’organisent pour la contester – et je pense, moi aussi, aux propos monstrueux qui ont été entendus sur une chaîne d’information en continu, ou plus exactement de désinformation en continu, visant à nous faire croire que l’IVG serait la première cause de mortalité dans le monde.
Contestée aussi, mise en cause aussi, mise en danger aussi par des forces politiques, et l’intervention de M. Ravier en a porté témoignage tout à l’heure. Et d’ailleurs, il y avait, quand même je le dis, quelque chose de répugnant à l’entendre, au vu de son identité politique, s’abriter derrière la figure de Simone Veil, quand même... Quand même…

Et donc, oui, l’IVG est menacée en France, elle est menacée en Europe, menacée en Pologne, elle est menacée aux États-Unis où quatorze États interdisent aujourd’hui l’IVG.

Qui peut, par conséquent, affirmer que l’IVG ne serait pas menacée ?!

Qu’entendons-nous par ailleurs ? Nous entendons que notre Constitution n’aurait pas vocation à être un catalogue de droits sociaux ? Il y a là une conception de la Constitution que nous ne partageons pas, une conception au fond qui vise à nous faire croire que la Constitution serait un objet juridique froid, qui se limiterait à l’organisation des pouvoirs politiques.
Comment expliquer alors que ceux-là même qui développent cet argument ne sont pas avares en propositions de loi constitutionnelle qui n’ont rien à voir avec la stricte organisation des pouvoirs ? C’est vrai du côté de la gauche, mais c’est vrai aussi du côté de la droite. Vous n’êtes pas avares en propositions de loi constitutionnelle ! Et c’est parfaitement légitime, mais y compris quand vous proposez d’inscrire les racines judéo-chrétiennes de la France dans la Constitution. Ça n’a rien à voir avec l’organisation de nos institutions et pourtant vous l’avez proposé et je passe sur les propositions que vous avez faites, y compris sur les enjeux liés à l’immigration.

Et au fond, je me dis qu’il ne faudrait pas qu’on ait la main plus tremblante quand il s’agit d’ajouter des droits dans notre Constitution que lorsqu’il s’agit d’en retrancher !

Et la réalité, c’est qu’aucun des arguments qui sont avancés pour rejeter ce projet de loi ou pour l’amender, ce qui revient à le retarder, n’est valable.
La réalité, c’est que nous avons la possibilité, par notre vote, de franchir un grand pas et d’accrocher ensemble une belle victoire.
Une belle victoire pour les femmes qui vivent en France, parce que ce droit fondamental sera ainsi protégé. Une belle victoire pour toutes les femmes à travers le monde, les femmes qui se battent pour que ce droit soit garanti dans leur pays.
Et d’ailleurs, quand bien même le vote de ce texte n’aurait que cette fonction-là, permettre à ces femmes qui nous regardent, qui n’ont pas accès à ce droit aujourd’hui, leur dire que nous sommes à leurs côtés, nous partageons leur combat, leur envoyer ce signal-là, quand bien même ce vote ne servirait qu’à ça, il serait fondamentalement utile !

Pour entériner cette modification de la Constitution, les parlementaires des deux chambres seront réunis lundi 4 mars à Versailles, en Congrès, pour un dernier vote où 3/5èmes des voix doivent s’exprimer en faveur de cette modification, pour qu’elle soit inscrite définitivement dans la Constitution.

Communiqué des Sénateurs Gréaume et Bocquet

Ce 28 février 2024 restera un jour historique pour le Sénat, qui a voté très majoritairement en faveur de l’inscription dans le Constitution de la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Enfin, ce droit des femmes à disposer de leur corps est mis en sécurité, puisqu’il sera, après le vote du Congrès lundi, inscrit au plus haut de notre hiérarchie des normes.

C’est un combat porté par de nombreuses femmes et de nombreux hommes depuis des décennies, et auquel nous nous sommes associés de longue date. En 2017 déjà, nous étions en effet à l’initiative, avec les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE, d’une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.

La mise en danger récente de ce droit, aux Etats-Unis, et la campagne de dénigrement du droit à l’avortement menée dans certains médias complaisants en France avec les sphères d’extrême-droite, visant à nous faire croire que l’IVG serait la première cause de mortalité dans le monde, doivent nous rappeler que tout droit, aussi durement acquis eût-il été, peut être supprimé.

Dans le monde, une femme meurt toutes les 9 minutes en raison d’un avortement clandestin, nous rappelle douloureusement l’ONG Médecins du Monde. Ce signal fort envoyé au monde, cette consécration de la liberté que nous sommes sur le point de voter, c’est aussi un élan que nous souhaitons donner à tous les pays pour protéger les femmes qui ne souhaitent pas poursuivre une grossesse.

N’ayons pas la main qui tremble quand il s’agit d’ajouter des droits dans notre Constitution.

C’est un grand pas et une belle victoire pour les femmes, pour les hommes, et pour toutes celles qui luttent chaque jour pour ne pas se faire imposer de décision relative à leur propre corps et avoir la liberté de choisir.

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