À la tribune

"Manger à sa faim, se chauffer, se soigner devrait être un droit fondamental et une priorité politique. C’est la pauvreté qu’il vous faut combattre."

Hier, lors du débat d’actualité au Sénat sur le thème « Les conséquences de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français », Eric Bocquet s’est exprimé au nom du groupe CRCE, pour dénoncer le peu d’action du Gouvernement à ce sujet, qui continue de ménager le capital au détriment du travail.
Alors que de nombreux Etats ont mis en place des mesures de revalorisation des salaires, le Gouvernement français a préféré des mesures ponctuelles sans portée générale.

Lire le texte de l’intervention d’Eric Bocquet dans le débat

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Dès le mois de décembre 2020, les prix de l’énergie ont massivement augmenté : plus 41% pour le gaz entre décembre 2020 et octobre 2021, + 21% pour le carburant, +4% pour l’électricité. Et la tendance s’est bien sûr confirmée en 2022, l’envolée des prix de l’énergie nous ayant entrainé dans une spirale inflationniste, atteignant des niveaux records que nous n’avions pas connu depuis les années 80.

En janvier 2023, les prix de l’énergie ont ainsi crû de 16,3%, en glissement annuel, tandis que ceux de l’alimentation, eux, ont connu une hausse de 13,3%.

Concrètement pour les ménages, c’est +20% pour les pâtes. +29% pour le steak haché. +34% pour les légumes frais. Et jusqu’à +120% pour l’huile de tournesol, chacun s’en souvient. Le passage en caisse devient une épreuve.

Pour beaucoup, il faut choisir : manger, se chauffer ou se déplacer.

Plus de 10 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, dont 1 enfant sur 5.

7 millions de personnes vivent dans une situation de précarité alimentaire et doivent, cela a été rappelé par beaucoup de nos collègues, recourir à l’aide alimentaire. La fréquentation des Restos du cœur a augmenté de 12% en 6 mois, situation inédite.

Six mois avant le conflit Russo-Ukrainien, le 6 octobre 2021, le journal Les Échos s’inquiétait, et titrait sur ces « traders pris dans la folie spéculative du prix du gaz ». Et pour cause : sur un mois, l’activité sur les options, c’est à dire les produits dérivés spéculatifs sur la matière première, avait bondi de 158%.

Dans la même veine, si l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé les chaînes de distribution, certaines entreprises, profitant de leur position dominante sur les marchés, ont spéculé sur les prix des denrées alimentaires ou augmenté leurs marges dans certains cas.

Mais tout cela n’est pas vraiment nouveau. Cela fait près de trois ans que nous vous alertons, que les associations vous alertent sur la paupérisation croissante d’une partie toujours plus importante de la population.

Du coté des PME, même son de cloche. Pour les entreprises du secteur agroalimentaire, c’est + 29 % pour le coût des matières premières agricoles par rapport à 2021. +26 % pour le coût des emballages carton et plastique. +57 % pour les coûts de l’énergie.

Et ce n’est pas fini. La facture d’électricité et de gaz va être multipliée par trois dès 2023 par rapport à 2022, et par cinq par rapport à 2021, voire davantage.

En ce sens ce débat d’actualité n’en est pas un. C’est d’un bilan des mesures prises par le gouvernement pour enrayer l’inflation, la spéculation et la perte de pouvoir d’achat qui s’en suit dont nous avons besoin.
Où est le chèque alimentaire promis dès 2020 par le Président de la République ?

Comment expliquer que 50% des personnes ayant droit à l’indemnité carburant d’un montant de 100 euros ne la demande pas ? Idem pour le chèque énergie ?

Coté aides aux entreprises, le bouclier tarifaire exclut de nombreuses entreprises qui, en raison des équipements nécessaires à leur activité, possèdent un compteur électrique dont la puissance est supérieure à 36 kWh. L’amortisseur énergie se révèle également insuffisant, au regard de l’explosion cumulée des prix des matières premières et des produits énergétiques. De plus, la complexité des différents dispositifs ne permet pas aux bénéficiaires de s’en saisir massivement.

Alors oui, comme le soulignent de nombreux consommateurs, le prix des biens de premières nécessités a moins augmenté que dans d’autres pays en France, mais il a tout de même augmenté dans des proportions sensibles.

Alors que de nombreux Etats ont mis en place des mesures de revalorisation des salaires, vous avez préféré des mesures ponctuelles sans portée générale.

Vous continuez de ménager le capital au détriment du travail. Et pourtant, la relégation de la question des salaires en marge du débat politique explique, pour l’essentiel, la baisse de la qualité de vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Ainsi, selon l’OCDE, la France est le pays qui a subi la plus forte baisse des revenus réels au 2e trimestre 2022, là où la majorité des autres pays ont progressé. Et paradoxalement, alors que les dividendes battent des records, tous les jours, notre pays connait une hausse de la pauvreté « inédite depuis de très nombreuses années » selon les mots d’Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU.

Manger à sa faim, se chauffer, se soigner devrait être un droit fondamental et une priorité politique.
C’est la pauvreté qu’il vous faudrait combattre.

Et cela via un véritable blocage des prix alimentaires, via une augmentation des salaires et des minima sociaux, via un tarif réglementé du gaz et de l’électricité pour tous et la sortie du marché européen de l’énergie. Autant de mesures que nous portons dans cet hémicycle de manière constante. Merci.

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