À la tribune

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Michelle Gréaume rapporteure à la tribune pour la Mission Défense du PLF 2023

Lundi 5 décembre 2022, le Sénat procédait à l’examen des crédits attribués à la mission Défense dans le cadre du Projet de Loi de Finances pour 2023. Michelle Gréaume, en tant que rapporteure, s’est exprimée au nom du groupe CRCE.

Elle a d’abord prononcé une intervention générale sur la mission Défense, en sa qualité de rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées.

Lire le texte de l’intervention générale

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Chers Collègues,

La hausse des crédits du programme 178 ne permet toujours pas la remontée de l’activité opérationnelle des forces et de l’entraînement qui restent inférieurs aux objectifs fixés, de près de 10 %.
En 2023 la situation se détériore pour trois quart des indicateurs d’activité. Cela se traduit par une diminution de la capacité de deux des trois armées à honorer leur contrat opérationnel.
Depuis 2017, la préparation opérationnelle de l’armée de terre stagne, elle doit remonter en 2022 à 82 jours mais pourrait être de nouveau fragilisée par la réassurance en Roumanie de l’OTAN.

Pour la Marine nationale, le retard pris par le programme des frégates de défense et d’intervention explique la baisse de la capacité à honorer le contrat opérationnel à 70%. Pour l’armée de l’air et de l’espace, l’impact des exportations Rafale sur lequel notre commission alertait le gouvernement est désormais tangible et conséquent : la capacité à honorer le contrat opérationnel chute à 65 % en 2023 et ne devrait pas remonter en 2024.
Le choc stratégique de la guerre en Ukraine rappelle à quel point l’entraînement est essentiel. Nous devrons obtenir les objectifs chiffrés de remontée de la préparation opérationnelle dans la prochaine Loi de Programmation Militaire (LPM). Il faut éviter qu’elle soit la variable d’ajustement inavouée des ambitions non financées de la LPM. 
Il nous faudra aussi veiller sur les services de soutien. Aujourd’hui à la peine, ils ne doivent pas être de nouveau sacrifiés à tous les autres objectifs de la LPM. Nous savons qu’ils sont essentiels et indispensables dans l’hypothèse d’un engagement majeur. La guerre en Ukraine l’a assez rappelé avec ses colonnes de chars russes immobilisés faute de ravitaillement.

Le déficit en médecins de premier recours de l’ordre de 125 en 2021 et non communiqué pour 2022, et la surprojection des personnels fragilisent le service de santé des armées. Il ne tiendra l’hypothèse d’engagement majeur qu’avec le plein appui du service public de la santé, lui-même en crise. Sans oublier qu’il est impératif également de préparer une défense contre une attaque radiologique, biologique ou chimique. La réflexion sur l’économie de guerre ne peut en aucun cas se dispenser du volet sanitaire, et la prochaine LPM devra refléter cette nécessité.

De même, les besoins du service du commissariat des armées pour faire face à l’inflation, aux nouvelles normes légales et à la haute intensité ne doivent pas être négligés et nous les évaluons déjà à au moins 250 millions d’euros.
Pour approfondir notre travail de recensement des besoins des services de soutien, il est indispensable, Monsieur le Ministre, que votre cabinet nous aide à organiser, dans les meilleurs délais, les auditions qui nous permettrons d’effectuer notre travail de préparation de la prochaine LPM. L’urgence en la matière vous est désormais connue.


Elle s’est ensuite exprimée au nom du groupe CRCE pour une explication de vote sur les crédits de la mission Défense.

Lire le texte de l’explication de vote

Monsieur le Ministre,
Monsieur le président,
Mes cher.es collègues,

Nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter des crédits alloués à la mission Défense dans un moment où le monde fait face au retour à la guerre, à la relance de la course aux armements de tous les types d’armes et dans tous les domaines, terrestre, aérien, spatial, maritime, cyber, et dans le cadre d’une réaffirmation de puissance de l’OTAN, non seulement euro-atlantique mais désormais à vocation mondiale.

En Ukraine, nous sommes doublement engagés, par les livraisons d’armes prélevées sur l’équipement de nos forces, et par le déploiement renforcé de nos forces sur le flanc Est de l’OTAN. Au Sahel, nous tirons péniblement nos forces d’une opération extérieure coûteuse et aux résultats politiques catastrophiques. L’addition totale est lourde pour nos forces armées.

Dans ce contexte géopolitique inquiétant, le budget 2023 confirme le respect de la trajectoire budgétaire tracée par la loi de programmation militaire en 2019. L’objectif alors affirmé était celui de la remise à niveau capacitaire de nos forces armées, ce que nous soutenions. Toutefois, nous alertions sur les déséquilibres de la répartition des crédits, au profit d’une logique de projection interventionniste. Les évolutions en cours confirment nos craintes, et nous désapprouvons vivement la préparation de la future loi de programmation militaire.

Préparer nos armées à des conflits de haute intensité est une chose, et nous l’entendons dans ce monde dangereux pour se défendre des attaques possibles contre la nation, son territoire, notre peuple, ou les prévenir ; mais nous préparer, au nom de cette logique, à multiplier les champs d’intervention extérieure de nos armées en est une autre. Le débat sur l’augmentation des crédits doit être liée à la nature des programmes mis en œuvre, qui doivent réellement être centrés sur les objectifs de défense nationale ou de programmes européens dont nous gardons l’usage souverain.

Le cas d’espèce du porte-avions l’illustre bien. Bien que la France dispose du second domaine maritime mondial, des ruptures capacitaires sont à craindre, notamment concernant ses patrouilleurs de haute-mer. Pourtant, il est préféré d’investir massivement dans le projet du prochain porte-avion, dont le coût est estimé à 5 milliards d’euros. Or, plusieurs études soulignent la grande vulnérabilité de cette structure en cas de conflit de haute intensité, notamment du fait de son indiscrétion et de l’arrivée de multiples nouveaux systèmes d’armes qui rendraient rapidement obsolète et inopérant le futur bâtiment.

Plus généralement, les États-majors, préparant le terrain d’une seconde LPM à 430 milliards d’euros, pointent du doigt nos lacunes capacitaires si nous étions confrontés à un conflit équivalent à celui du Haut-Karabagh ou encore à celui en cours en Ukraine. A cela, s’ajoutent les questionnements sur l’incapacité de la France à tenir un front de 80 kilomètres ou encore un conflit d’une durée de plus de 8 jours, faute de munitions.

Monsieur le Ministre, il faudrait faire des choix sur notre format d’armées. Nous ne pouvons pas raisonner en prenant comme référence des pays agressés il y a de ça seulement quelques mois, et qui ne disposent pas de l’arme nucléaire. La dissuasion nucléaire est dimensionnée pour sanctuariser le territoire national. Quel sens accordons-nous à cette dissuasion, si nous redimensionnons tout pour nous préparer sur notre sol à un conflit inter-étatique dans la durée ?

En vérité, la défense du territoire semble rester seconde dans les concepts de haute intensité et d’économie de guerre tels qu’ils sont avancés aujourd’hui.

Il est moins question de défendre l’intégrité de la nation, que de renforcer la capacité de haute intensité de notre doctrine interventionniste et des armées censées la servir. C’est pourtant ce qui nous a conduit à des échecs marquants. Du départ des troupes américaines et de l’OTAN d’Afghanistan au repli de l’opération Barkhane et au fiasco de la Lybie. Nous continuons à persister dans une logique produisant chaos, déstabilisations d’Etats, violences, persistance des conflits et du terrorisme.

Une logique archaïque de projection dont nous récoltons aujourd’hui les fruits amers en Afrique.

Aussi, la récente revue nationale stratégique ambitionne de rehausser nos provisions en matière d’opération extérieure, de maintenir notre capacité à entrer en premier dans d’immenses territoires du globe et des océans.

Pour quels objectifs, au service de quelles alliances, de quels intérêts, Monsieur le Ministre ?

Nous parlons du rôle de puissance d’équilibre qu’entend jouer la France sur la scène internationale. Mais comment le jouer si nous sommes plus alignés que jamais les objectifs et les intérêts de l’Otan et des Etats-Unis, au prétexte de maintenir le « rang » fantasmé de la France dans le camp atlantiste ? Aucune initiative multilatérale de désarmement formulée ni de construction d’une grande coalition pour la paix envisagée et pourtant, le rayonnement de la France en serait bien davantage éclatant.

Un format rehaussé de nos armées au service de la sécurité nationale appellerait bien d’autres questions, en matière de renouvellement capacitaire, de moyens de maintenance opérationnelle des effectifs et des armements, de maîtrise souveraine de nos industries d’armement. Comment assurer cette dernière quand la perspective d’une autonomie industrielle de défense en Europe vient de voler en éclats avec le retour en force de l’Otanisation américaine de l’Europe ? Comment pouvez-vous garantir que les immenses crédits dégagés dans ce budget et dans la LPM future consacre le renforcement de nos capacités souveraines de défense ?

Ainsi, nous regrettons une répartition des crédits dotant de manière consubstantielle nos capacités de projection au détriment de la stricte défense de nos territoires et alliés proches et nous alertons sur la réflexion stratégique qui anime ce budget. Celui-ci ne permet pas à la France d’assumer son rôle au service de la paix, c’est pourquoi nous voterons contre.

Sur ce même texte, Michelle Gréaume a souhaité publier et porter deux amendements relatifs au Service de Santé des Armées, qu’elle a défendu successivement.

Ils ont tous deux été retirés.

Sur la revalorisation salariale des personnels du Centre de Transfusion Sanguine des armées à Clamart et de l’Institut Biomédical des armées à Brétigny-sur-Orge :

Puis sur la revalorisation des personnels soignants militaires :

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