À la tribune

Débat sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales au Sénat

"Seules une volonté politique forte et une priorisation de ce combat permettront d’avancer véritablement au nom de l’intérêt général"

Mercredi 11 janvier, le Sénat inscrivait à son ordre du jour un débat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, à la demande de la commission des finances.

C’est Eric Bocquet qui s’y est exprimé au nom du groupe CRCE.

Lire le texte de l’intervention d’Eric Bocquet

Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Mes cher.e.s collègues,

Je pense qu’il faut d’abord saluer l’excellente initiative de notre Commission des Finances, Monsieur le Président Raynal, Monsieur le Rapport général Husson, pour mener cette initiative de mission d’information sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, près de quatre ans après la loi Darmanin du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Il était important en effet de faire un premier bilan des nouvelles dispositions adoptées à l’époque. Et il est très salutaire que le Parlement s’intéresse à ce sujet de manière permanente, tant l’enjeu pour nos finances publiques est fondamental.

L’une des difficultés constatées ces dernières années étant que les révélations faites par la presse sur ces sujets suscitent indignation et réactions indignées pendant 48h au mieux, et très vite le soufflé retombe et les réactions des gouvernements ne sont pas à la hauteur des enjeux financiers colossaux impliqués. Chacun a en mémoire ici la déclaration très péremptoire du Président Nicolas Sarkozy le 23 septembre 2009 : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ».

Or, ces 14 dernières années, les scandales se sont répétés. Si on fait le compte depuis 2013, année de la tristement célèbre affaire Cahuzac, qui a fait tant de mal à notre République, ce ne sont pas moins de 15 affaires qui ont été révélées par les journalistes d’investigation et les lanceurs d’alerte.

Merci à eux, au nom de l’intérêt général !

Et à chaque fois, les mêmes montants astronomiques, les mêmes systèmes sophistiqués et trop souvent malheureusement, l’implication de responsables politiques de haut niveau, ici et ailleurs. C’est ainsi que nous eûmes droit successivement aux Panama Papers, Paradise Papers, Luxleaks, Openlux, Cumex Files, UBS, et plus récemment encore, les Pandora Papers. Quel exotisme !

Cette accumulation d’affaires illustre parfaitement le caractère systémique, quasi industriel de l’évasion fiscale.

Ceci confère aux responsables politiques, quels qu’ils soient, une responsabilité majeure. Qu’en est-il donc du bilan de la loi de 2018 ?

La mission a constaté l’insuffisante évaluation de la fraude fiscale, notre rapporteur général l’a rappelé. La loi de 2018 avait prévu la création d’un Observatoire d’évaluation de la fraude fiscale. Celui-ci n’a jamais vu le jour, faute d’avoir quelqu’un pour en assurer la présidence. J’avais à l’époque proposé modestement ma candidature, à titre bénévole, soucieux que nous sommes des deniers publics. L’Observatoire est mort-né, aujourd’hui perdu dans les limbes !

Certes, le « verrou de Bercy » fut quelque peu desserré, c’est une bonne chose, sans être toutefois complètement supprimé. Nous sommes nombreux à penser que sa suppression totale devrait être envisagée, mais cela nécessiterait en parallèle, de renforcer les moyens de la justice, le Parquet National Financier, notamment de manière que notre justice puisse traiter comme il convient tous les dossiers de fraude fiscale.

Je ne partage pas la satisfaction de la mission d’information qui estime que les réponses pénales et les instruments de justice que sont la CJIP, Convention Judiciaire d’Intérêt Public – je me demande toujours où est l’intérêt public dans ce dispositif – ainsi que la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité, la CRPC, une sorte de Plaider coupable à l’anglosaxonne, ont fait leur preuve.

Certes, le gouvernement met en avant les condamnations de McDonald’s ou du Crédit Suisse. Les amendes récupérées ne représentent pas la totalité des sommes éludées, et cette méthode de « négociation » laisse entendre au commun des mortels que la loi fiscale ne s’applique pas de la même manière selon que « vous êtes puissant ou misérable », pour plagier le grand Jean de La Fontaine.

Notre mission d’information a aussi examiné de manière très logique la dimension européenne du sujet. L’Union Européenne considère qu’il n’existe en son sein aucun paradis fiscal. Je me contenterai de citer nos « partenaires » du Luxembourg, mis en cause en février 2021 dans une enquête au long cours du journal « Le Monde », son nom « Openlux ».

Nous y apprenions que le Luxembourg hébergeait 55 000 sociétés offshore, cumulant ensemble 6 500 milliards d’euros. 6 500 milliards mes chers collègues, quasiment 20 fois le budget de la France !!!

Parmi ces 55 000 sociétés, en tête de classement : les Français, avec 17 000 de nos contribuables, de nos citoyens, qui détenaient ces sociétés offshore.

L’une des armes essentielles pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales est l’indispensable transparence. Or, de ce point de vue, Jean-François Husson l’a rappelé, l’Union européenne envoie des messages quelque peu inquiétants et contreproductifs ces derniers temps.

Pour en juger, cette décision très surprenante de la Cour de justice européenne qui considère que la communication des informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés est réservée aux pouvoirs publics et aux organismes spécialement habilités à les recevoir. Jusque-là, ces informations étaient en accès libre sur Internet. La Cour européenne freine ainsi les ardeurs des défenseurs d’une transparence absolue.

Il est clair que seules une volonté politique forte et une priorisation de ce combat permettront d’avancer véritablement au nom de l’intérêt général.

La presse en a parlé

Attal défend les amendes qui évitent des poursuites pour fraude fiscale aux entreprises

Cliquer ici pour lire l’article sur le site de TF1 Info

  • Le ministre des Comptes publics a défendu devant le Sénat l’intérêt des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP).
  • Ce dispositif permet aux entreprises soupçonnées notamment de fraude fiscale d’échapper aux poursuites pénales en versant une amende.
  • L’opposition pointe le risque d’une loi fiscale inégalement appliquée.

"Un outil utile" permettant de récupérer "une partie très importante" de la fraude imputée à une entreprise.

Le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a défendu, ce mercredi 11 janvier, devant le Sénat, l’intérêt des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP). Créée par une loi de 2016, la CJIP permet aux entreprises soupçonnées de corruption, de trafic d’influence ou de fraude fiscale d’échapper aux poursuites pénales en versant une amende.

Ces dernières années, des poids lourds comme Airbus (2,1 milliards d’euros en 2020), Google (500 millions d’euros en 2021) ou McDonald’s (1,25 milliard en juin 2022) sont ainsi passés à la caisse pour mettre un terme à des enquêtes judiciaires. Les CJIP permettent à l’État de s’"assurer que les finances publiques recouvrent une partie très importante de la fraude" alléguée, a plaidé Gabriel Attal.

L’opposition pointe le risque d’une loi fiscale inégalement appliquée

Le ministre des Comptes publics répondait au sénateur communiste Eric Bocquet à l’occasion d’un débat au Sénat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. "Je me demande toujours où est l’intérêt public dans ce dispositif", s’était interrogé quelques minutes plus tôt l’élu du Nord. "Les amendes récupérées ne représentent pas la totalité des sommes éludées et cette méthode de ’négociation’ laisse entendre au commun des mortels que la loi fiscale ne s’applique pas de la même manière selon que vous êtes puissant ou misérable", a argumenté Eric Bocquet.

"Quand vous rentrez dans une bataille judiciaire, on se bat parfois face à des grandes entreprises qui ont une armée juridique et (...) peuvent faire durer les choses", a répliqué Gabriel Attal. "La succession d’audiences et d’appels peut aussi finir par faire baisser le montant que nous réussissons in fine à recouvrer", a-t-il ajouté. En permettant de récupérer de l’argent, qui plus est rapidement, la CJIP est donc "un outil utile à plusieurs titres", a conclu le ministre des Comptes publics.

Fin octobre, une mission d’information du Sénat était allée globalement dans le même sens en soulignant que face à la "saturation de la justice", il convenait de "soutenir le déploiement des CJIP".

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