Le mercredi 25 septembre 2018, la "Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne", ou Commission spéciale Brexit, était créée au Sénat.
Eric Bocquet en a été nommé Vice-Président.
Vous pourrez suivre le travail de la commission et les articles de presse qui en découlent sur cette page, ou sur la page dédiée à cette commission sur le site du Sénat.
Mardi 6 novembre 2018, le Sénat examine le projet de loi habilitant le Gouvernement français à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
A cette occasion, un entretien croisé avec Ladislas Poniatowski, rapporteur, et EricBocquet a été réalisé
L’examen du projet de loi "Mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne" a été précédé par la discussion générale, lors de laquelle un représentant de chaque groupe politique au Sénat intervient pour donner l’avis de son groupe sur le projet de loi en examen.
C’est Eric Bocquet qui est intervenu dans la discussion générale au nom du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Ecologiste.
Madame la Présidente,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Le 30 mars 2019, le Royaume-Uni quittera l’Union Européenne et deviendra un pays tiers.
Quel que soit le scénario envisagé, il y aura des impacts importants pour les entreprises, les administrations et les citoyens européens et britanniques. En effet, comme le souligne le rapport, les exportations vers le Royaume-Uni représentent 3 % de notre PIB, environ 30 000 entreprises françaises y exportent des marchandises ou des services et 4 millions de Britanniques se rendent sur notre territoire chaque année.
Outre les questions techniques et juridiques, le Brexit est une première dans l’histoire européenne. Et comme cela a très bien été identifié par le groupe de suivi du Sénat, l’Union européenne doit aujourd’hui gérer une procédure de retrait en deux étapes, qu’elle n’a pas voulue.
Séisme politique et juridique, le Brexit interroge la construction même d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ».
Il représente un désaveu pour le projet européen, alors que l’on pouvait croire que le processus engagé dans les années 50 était irréversible, et illustre le rejet d’une Union Européenne confrontée à une crise de sens.
Il illustre le rejet d’une Europe qui s’est construite pendant longtemps sans les peuples, voire contre les peuples (Grèce). Ainsi, la plupart des référendums organisés ces vingt dernières années sur la construction européenne se sont soldés par des résultats négatifs, sans que la marche en avant du projet européen en soit remise en question.
C’est dans ce contexte que nous pouvons aborder le retrait du Royaume-Uni, puissance politique, économique et militaire de premier plan, qui avait une situation déjà extrêmement dérogatoire par rapport aux autres Etats membres.
Et ce qui frappe, au sortir des différentes auditions de la commission spéciale, c’est que les Britanniques semblent bien mieux préparés à la sortie que ne le sont les autres Etats membres.
Lors de son audition, Monsieur Darmanin soulignait qu’il y a encore peu de gens qui croient au Brexit, et le rapport regrette une préparation tardive « des administrations et de la mise en adéquation des moyens budgétaires qui doivent aller de pair avec des actions de sensibilisation des acteurs intéressés aux conséquences du Brexit. »
En effet, alors que les problématiques sont énormes et diverses, il semble que l’Union Européenne et les états membres ont plus joué la carte d’une remise en cause du Brexit que de la négociation d’une sortie ordonné du Royaume Uni. A cet égard, la question Irlandaise est frappante.
Il ne s’agit pas de minimiser les enjeux liés aux nouvelles frontières extérieures de l’Union en termes de cohérence et de protection du marché unique. Toutefois, l’impression que l’Ulster a été instrumentalisé par les deux parties, Royaume-Uni et Union Européenne, pour faire pression dans les négociations ne peut être balayé d’un revers de la main.
Or, cette question irlandaise est essentielle, historiquement, politiquement et économiquement.
Le retour à une frontière physique dure est impossible, les Irlandais ne reviendront pas sur les Accords du Vendredi Saint de 1998 qui ont mis fin à des décennies de conflit et de violences. Pour eux, il n’y aura pas d’accord de retrait sans statu quo sur les relations entre l’Ulster et la République d’Irlande aujourd’hui normalisées, et l’idée d’une frontière au milieu de la Mer d’Irlande, pour maintenir l’Ulster dans la zone Europe artificiellement, est inacceptable pour la Grande Bretagne et l’Irlande, la potentialité d’une forme d’annexion de l’Ulster constituant un danger important pour l’intégrité du royaume.
Nous devons être attentifs à ce que notre diplomatie, et la diplomatie européenne, ne jouent la division en priorisant l’Irlande contre le Royaume-Uni. Comme le soulignait le rapport du groupe de suivi en juillet dernier, l’UE ne doit pas spéculer sur les dissensions internes au Royaume-Uni.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Alors que, la semaine dernière, les négociations semblaient être dans l’impasse et l’hypothèse d’un Brexit sans accord était de plus en plus plausible, le ministre britannique en charge du Brexit a estimé, dans une lettre adressée aux parlementaires, qu’un accord sur la sortie de l’UE pourrait être scellé d’ici au 21 novembre, et affirmait que "95% de l’accord de retrait" était désormais "réglé".
Ainsi, même si des progrès sont certains, l’hypothèse d’un non-accord dans les temps impartis ne peut toujours pas être exclue : cela peut être dû à un échec des négociations, ou à l’absence de ratification de cet accord par l’Union (absence de majorité qualifiée au Conseil, absence d’approbation du Parlement européen) ou par le Parlement britannique.
Comme l’a souligné le conseil européen de juillet 2018, un retrait du Royaume-Uni sans accord nécessiterait l’adoption, par l’Union comme par les États membres dans leur champ de compétence, de mesures de contingence.
C’est dans ce contexte mouvant et incertain que nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur la demande d’habilitation du gouvernement en vue de parer au vide juridique d’un Brexit sans accord.
Ce projet de loi d’habilitation, au champ d’application extrêmement large et au contenu particulièrement flou, comme l’a souligné l’avis du conseil d’Etat dont les parlementaires n’ont pas eu connaissance, a pour objet la situation des Français installés au Royaume-Uni et des Britanniques installés en France, la gestion des flux de personnes et de marchandises, et l’aménagement, en urgence, des lignes ferroviaires, des ports et des aéroports français.
Nous partageons les conclusions du rapporteur, la législation par voie d’ordonnances n’est pas une bonne méthode. Et dans ce cas précis, le Gouvernement demande quasiment un blanc-seing au Parlement. C’est pourquoi nous saluons les modifications de clarification et d’encadrement du champ de l’habilitation, opérés par la commission spéciale.
Car, ce qui importe aujourd’hui dans des délais extrêmement restreints, est que notre pays soit en mesure de répondre rapidement aux conséquences d’un « no deal », c’est l’objet des deux premiers articles du projet de loi, mais aussi aux conséquences concrètes du Brexit en termes d’infrastructures et de logistique d’un rétablissement des contrôles douaniers, c’est l’objet de l’article 3 du projet de loi.
Il faut aussi garder en tête que la préparation du Brexit ne se résumera pas à ce projet de loi. Elle se traduit aussi dans la loi de finances, comme nous l’avons rappelé lors de nos auditions, mais aussi dans divers projets de loi en cours d’examen, que ce soit le projet de loi PACTE ou encore le projet de loi sur la surtransposition des directives européennes, dont l’objet est d’assurer ou de renforcer l’attractivité de notre pays.
Si nous comprenons l’exigence de flexibilité du gouvernement face à une situation exceptionnelle, les sénateurs du groupe CRCE resteront extrêmement vigilants, en particulier sur les mesures prises sur le fondement de l’article 3 qui permet au gouvernement de déroger au droit commun en matière d’aménagement de travaux et d’aménagement rendus nécessaires par le Brexit.