Auditions en commissions

Table ronde : « Pandora papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ? »

"Quand l’Europe va-t-elle reconnaître ses propres paradis fiscaux ?" Eric Bocquet s’insurge des trous dans le bouclier pour lutter contre la fraude fiscale

Mercredi 13 octobre 2021 avait lieu au Sénat une table ronde intitulée « Pandora papers : comment contrôler la création et les bénéficiaires effectifs des sociétés offshore ? ».

Organisée seulement quelques jours après les révélations d’un consortium de journalistes sur une massive pratique d’évasion fiscale, elle a réuni plusieurs experts devant les sénateurs de la Commission des Finances notamment :
Mme Giulia ALIPRANDI, chercheuse à l’Observatoire européen de la fiscalité,
M. Marc BORNHAUSER, avocat spécialiste en droit fiscal,
M. Frédéric IANNUCCI, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal,
et M. Quentin PARRINELLO, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France

Eric Bocquet a pris la parole pour exprimer le problème posé par la présence dans les nombreuses révélations successives de pays membres de l’Union Européenne.

Lire le texte de l’intervention

Merci Monsieur le Président.

D’abord, je voudrais saluer l’initiative excellente de la Commission des finances qui a réussi dans un délai effectivement très court, 8 jours après la révélation des Pandora Papers, cette table ronde fort intéressante, fort utile, qui me conforte dans l’idée que c’est un sujet dont il faut parler régulèrement et pas seulement dans l’émotion des révélations effectuées par la Presse.

Salut à la presse entre parenthèses de mener ce travail depuis de longues années, le consortium international des journalistes d’investigation mène un travail remarquable.

Mais depuis l’affaire Cahuzac en 2013, je me suis amusé à compter le nombre d’affaires, je pense qu’on en est au 13ème dossier de révélations fracassantes, je ne vais pas les énumérer, vous les connaissez aussi bien que moi, et donc toutes révélatrices de ces pratiques incroyables et scandaleuses du monde de l’[Offshore].

Tout est connu aujourd’hui, on ne peut plus s’étonner des informations qu’on a, mais elles nous sidèrent encore, à chaque fois la même sidération, le même scandale.

Ça a été rappelé, les révélations d’Openlux au mois de février dernier, le journal Le Monde avait mené une enquête au long cours. Deux chiffres : 55 000 sociétés [offshore] au Luxembourg, détenant ensemble 6 500 milliards d’actifs. Nous qui travaillons ici sur le budget de la France, qui est péniblement à 400 milliards de dépenses, ça nous ramène à une échelle absolument incroyable. Les Pandora Paper, 11 300 milliards de dollars, ça fait 10 000 milliards d’euros - voilà, je ne vais pas plus loin – autant d’argent qui échappe à l’impôt, bien sûr.

A l’occasion des Panama Papers en 2016, c’est le cabinet Mossack Fonseca qui avait été pointé, mais on se rend compte avec ces nouvelles révélations que ce cabinet n’était pas un cas isolé, mais a fait école et a de nombreux concurrents de par le monde. Cette année, on nous parle du cabinet Baker-McKenzie, 5 000 avocats présents dans 46 pays du monde. McKenzie, on connait, ils se sont occupés d’autres affaires en France il y a quelques temps, au moment de la pandémie.

14 cabinets sont cités dans les révélations des Pandora Papers, créateurs de sociétés anonymes [offshore]. Evidemment, le but est d’échapper à l’impôt, c’est de bénéficier d’une totale opacité, et d’échapper aussi aux juges et aux lois.

Des personnalités politiques sont citées, ça fait beaucoup de mal, bien évidemment, à la République, à la confiance de nos concitoyens, 600 de nos concitoyens sont cités dans ces documents.

Dans ces révélations, on apprend et on découvre, et on a la confirmation que des Etats membres de l’Union Européenne (UE) sont eux-mêmes addict de ces pratiques régulières, on a cité le Luxembourg au mois de février dernier dans l’affaire Openlux, et cette fois-ci c’est Chypre dont il est question. A ma connaissance, ces deux Etats sont membres de l’UE, ça n’est pas sans poser de problèmes politiques de fond, auquel il faudrait s’attaquer.

Alors ces dossiers illustrent parfaitement le caractère systémique de cette industrie de l’[offshore]. On n’est pas dans un dysfonctionnement d’une économie libéralisée, mondialisée, dérégulée. Non, c’est au cœur du système, il faut des clients, il faut des territoires complaisants, il faut des banquiers, oui il faut des avocats, des cabinets, des notaires, des prestataires, des prête-noms, des sociétés écrans, etc etc.

Et tout cela fait système, et tout ça organise l’opacité.

Alors, j’ai quelques questions à soumettre à nos invités aujourd’hui.

Tout d’abord, Monsieur Iannucci, sur les 600 français qui sont cités, vous avez évoqué tout à l’heure comment vous traitiez ce genre de sujets, mais est-ce que vous pourriez préciser la stratégie qui est la vôtre, de quels moyens vous disposez ? Parce que là, les journalistes nous ont rappelés qu’ils avaient exploité 12 millions de documents, j’imagine la masse de travail humain qu’il faut pour exploiter ces données. Alors, je sais que monsieur Darmanin en 2018 avait créé une police fiscale de 25 individus, sans doute très compétents, mais c’est 25. Et dans le même temps, en 20 ans la DGFIP a perdu 38 000 emplois, ça n’est pas non plus sans conséquences.

Monsieur le Ministre Dussopt la semaine dernière disait qu’après les Panama Papers, nous avions récupéré 200 millions d’euros. Vous nuancez un peu, je crois avoir noté que vous parliez de 176 millions d’euros. Là aussi, le décalage est assez saisissant entre ces chiffres récupérés, et ceux qui sont sensés nous échapper.

Ensuite, deuxième point que je voudrais évoquer, c’est la chaîne de responsabilité, effectivement. Dans la Commission d’enquête que nous avions menée en 2013 ici, on voyait qu’on ne peut pas s’évader sans un peu d’aide, évidemment. Et je me souviens d’une intervention d’une personnalité qu’on avait auditionnée, Monsieur Marc Roche, à l’époque journaliste pour Le Monde, correspondant à Londres, fin connaisseur de La City et du monde de la finance et de ses acteurs. Il avait dit, je cite : « Les banques ne sont qu’un petit élément d’un réseau de complicité plus vaste, dans lequel on trouve des bureaux d’avocats, des cabinets comptables, des conseillers financiers… »

Alors, évidemment, on entend toujours cet argument qui consiste à dire optimisation/évasion. Mais je rappellerai cette citation fameuse de Denis Healey, qui était Chancelier de l’Échiquier dans le Gouvernement Britannique entre 1974 et 1979. Et il a eu ce mot un jour : « La différence entre l’optimisation et l’évasion fiscales est dans l’épaisseur du mur d’une prison. »

Voilà, chacun en pensera ce qu’il veut, mais j’ai trouvé ça assez drôle.

Troisième point qui a été évoqué par Monsieur Parrinello, c’est la liste des paradis fiscaux en Europe. Aux yeux de l’UE, aucun Etat membre ne peut être considéré par la Commission comme un paradis fiscal. Or là, on a deux pays majeurs, le Luxembourg et Chypre, on pourrait aussi citer Malte, on pourrait s’intéresser aux Pays-Bas avec les sièges des [holdings], l’Irlande a un statut fiscal un peu particulier aussi. Or, pour l’UE, pas de paradis fiscal en son sein.

Je pense que là, il y a déjà un deuxième trou dans le bouclier, plus les complicités que malheureusement on constate, on a cité Tony Blair, on a cité DSK… Tout ça est absolument dommageable fondamentalement, et il faudra qu’on s’intéresse de près à ces sujets. Merci.

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